Rapport d'étude | Controverses minières - Volet 2 · Exploration et exploitation minières en eaux profondes

17 novembre 2022
SystExt

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L’activité minière en eaux profondes fait référence à l’exploration et l’exploitation de gisements de minerais métalliques situés en eaux marines profondes (à partir de 200 mètres de profondeur). Bien que découverts dès les années 1970, ces derniers ont connu un regain d’intérêt à partir des années 2000, intérêt qui n’a cessé de croître depuis. Dans cette étude, SystExt a identifié les faits et les démonstrations qui font consensus parmi les auteurs académiques, institutionnels et de la société civile, afin de caractériser les principaux enjeux techniques, sociétaux, environnementaux et règlementaires associés à cette industrie.

► Le rapport est disponible au lien suivant et téléchargeable en bas de page. Les résultats de l'étude sont détaillés et sourcés dans le rapport d'étude, seule une synthèse en est dressée ici.

• Les viabilités technique et économique de l’exploitation des fonds marins restent controversées

Trois principaux types de gisements se trouvent dans les eaux marines profondes : les sulfures hydrothermaux, les nodules et les encroûtements. S’ils se distinguent par certains critères, tels que les environnements de mise en place, les mécanismes de formation ou les métaux contenus, ces trois types de gisements présentent des similitudes : (1) ils se situent dans tous les océans ; (2) ils se mettent en place à des profondeurs très élevées ; (3) leur formation est extrêmement lente, de l’ordre de la dizaine de milliers voire du million d’années ; (4) les principaux métaux d’intérêt sont des substances "communes", très majoritairement des métaux ferreux et non ferreux. Ainsi, les minerais des nodules et des encroûtements ont pour principaux métaux d’intérêt : le manganèse (Mn), le cuivre (Cu), le nickel (Ni) et le cobalt (Co).

Pour ces trois types de gisements, et pour la plupart des métaux d’intérêt ou d’intérêt potentiel, les teneurs moyennes dans les gisements en eaux profondes sont le plus souvent soit inférieures à la borne basse de la gamme, soit dans la gamme de celles des gisements terrestres. De plus, l’évaluation des tonnages (quantité totale de minerai) est basée sur des hypothèses controversées. Il s’agit au mieux de ressources présumées (c’est-à-dire de l’estimation la plus incertaine des ressources minières) au pire d’un potentiel entaché d’incertitudes majeures. L’utilisation de ces valeurs de tonnages s’avère donc particulièrement discutable. Selon SystExt, il ne suffit pas d’annoncer des quantités gigantesques de métaux théoriquement présents, mais bien de les mettre en parallèle des superficies à exploiter pour les récupérer (par exemple, les presque 4 millions de km² pour les 21 milliards de tonnes de nodules estimés dans la Zone de Clarion-Clipperton (CCZ)).

Quel que soit le type de gisements, les techniques d’exploitation sont similaires. Elles comprennent : (1) des systèmes d’exploitation et de collecte du minerai (principalement avec des véhicules sous-marins télécommandés) ; (2) des systèmes de levage du minerai à travers la colonne d’eau ; (3) des navires nécessaires à la manutention, au pré-traitement (voire au traitement) et au transport du minerai. L’énergie nécessaire au fonctionnement de tous ces dispositifs est considérable et repose principalement sur le recours aux combustibles fossiles.

Les trois types de minerais diffèrent beaucoup de ceux des gisements terrestres du fait de leur minéralogie complexe ainsi que de leur porosité et de leur teneur en eau élevées. Par conséquent, il est inévitable que le traitement du minerai soit particulièrement long et énergivore. Trois étapes s’avèrent nécessaires : (1) un pré-traitement par déshydratation afin de séparer le minerai des sédiments et de diminuer le taux d’humidité du minerai ; (2) une concentration par broyage et/ou flottation pour les minerais de sulfures hydrothermaux à teneur moyenne, pour les nodules, et pour la séparation du substrat des encroûtements ; (3) une extraction des métaux par pyrométallurgie et/ou hydrométallurgie. L’étape (1) et probablement l’étape (2) devraient être conduites en mer afin de réduire les coûts d’exploitation, donnant dès lors lieu à des déversements d’effluents résiduaires voire de déchets miniers dans l’océan.

Localisation des zones d’intérêt pour les trois types de gisements en eaux profondes et mise en évidence des sites majeurs ; traduit et adapté de (Woody, 07/05/2020, China Dialogue Ocean)

• Les risques, connus et largement documentés, ne sont pas acceptables

Les risques pour la biodiversité et les milieux, tant benthiques que pélagiques, sont majeurs. Cinq phénomènes induisent les risques les plus graves et les plus probables : (1) l’exploitation minière en tant que telle au niveau des fonds marins ; (2) la formation des panaches de sédiments et de particules ; (3) la libération des métaux et des métalloïdes ; (4) les pollutions sonores et lumineuses ; (5) le dérèglement de la fonction « puits de carbone » des océans.

Il est d’ores-et-déjà certain que les activités minières sur les fonds marins conduiront à la fragmentation et la destruction des habitats, ainsi qu’à la mortalité de la faune et de la flore associées. Les surfaces détruites chaque année seraient immenses. La Banque mondiale estime ainsi que les impacts directs d’une seule exploitation de nodules pourraient affecter une superficie comprise entre 300 et 600 km² par an ; tandis que les impacts indirects pourraient s’étendre sur une superficie comprise entre 1 500 et 6 000 km², sur plusieurs années. Or, les trois types de gisements consistent en des écosystèmes spécifiques, dont certaines espèces faunistiques et floristiques ne se trouvent nulle part ailleurs. Les caractéristiques uniques de ces écosystèmes s’avèrent de surcroît nécessaires au développement d’autres espèces ou aux fonctionnements chimique et biologique des fonds marins.

Des panaches de sédiments et de particules se formeront du fait : (1) de l’activité continue des véhicules sous-marins télécommandés au niveau des fonds marins ; (2) du déversement d’effluents et de déchets miniers via des conduites de réinjection ; (3) des fuites au niveau des conduites (de levage ou de réinjection). Bien que l’évolution spatio-temporelle des panaches reste difficile à évaluer, ces derniers devraient probablement se développer sur des dizaines voire des centaines de kilomètres autour des sites miniers. Concomitamment à la formation de ces panaches, des métaux et métalloïdes seront libérés sous forme particulaire ou sous forme dissoute. Tous ces processus conduiront à l’asphyxie et l’enfouissement d’une partie de la faune et de la flore, la maladie voire la mort des individus, le changement du comportement des espèces, etc.

Les perturbations et les dommages associés à une exploitation minière pourraient persister sur le long terme, voire être irréversibles. Compte tenu des écosystèmes exceptionnels et peu résilients qui se développent au sein des gisements, l’exploitation en tant que telle devrait être à l’origine des impacts qui s’étendent sur les plus grandes échelles de temps, de l’ordre du millier voire du million d’années.

Le fait que les sites soient éloignés des côtes (du moins, dans la perception qu’en ont les pays occidentaux) et qu’ils ne soient pas habités semble réduire ou effacer les conséquences sociales et environnementales potentielles. Cependant, contrairement à ces idées reçues, l’exploitation en eaux profondes soulèverait probablement des problématiques plus complexes encore que l’exploitation terrestre. Elle sera nécessairement à l’origine d’impacts socio-économiques, culturels et politiques, multiples et complexes.

Faune et flore observées entre 1 000 et 1 300 m de profondeur dans le canyon sous-marin de Gully, Canada | © NOAA Ocean Exploration · 2019

• Les impacts ne peuvent être ni évalués, ni gérés, ni compensés

La nature et le fonctionnement des écosystèmes marins ne sont que très partiellement connus, voire inconnus. Des informations qualitatives et quantitatives manquent sur : les espèces en présence, leur abondance, leur(s) habitat(s) et leurs comportements ; la fragilité des écosystèmes, la rareté des espèces et les risques d’extinction ; la distribution et la connectivité des espèces, etc. Ce manque de connaissance contraint voire empêche l’établissement de l’état initial, préalable essentiel à la réalisation de toute étude d’impact.

La principale approche pour la gestion des impacts associés aux activités minières en eaux profondes consiste à prévenir et/ou à atténuer les impacts. La mise en œuvre opérationnelle de cette approche repose sur la hiérarchie des mesures d’atténuation, qui comprend quatre niveaux : (1) l’évitement, (2) la minimisation, (3) la restauration (incluant la réhabilitation), (4) la compensation. Les cadres règlementaires et méthodologiques associés à l’application de ces mesures sont au mieux en cours de définition, au pire inexistants. Seules des mesures d’évitement et de réduction des impacts pourraient être mises en œuvre mais ne suffiraient pas à éviter les pertes définitives. Les mesures de restauration et de compensation s’avèrent, quant à elles, inefficaces ou impossibles à appliquer.

À titre d’illustration, de nombreux enjeux rendent peu réaliste la faisabilité des travaux de réhabilitation en eaux profondes : la lenteur du développement et de la croissance des espèces et des habitats concernés, l’échelle potentiellement vaste des impacts, la compréhension très limitée des fonctions écologiques, biologiques et écosystémiques à restaurer et les coûts très élevés des travaux et de leur suivi (de l’ordre de la centaine de millions voire du milliard de dollars).

Simulation des panaches de sédiments et de particules, exploitation de nodule dans le Pacifique | Projet Blue Peril - A visual investigation of deep sea mining in the Pacific · Septembre 2022. Lien : www.blueperil.org

• Les règlementations s’avèrent largement insuffisantes

L’espace maritime se divise en quatre secteurs : la mer territoriale, la zone économique exclusive (ZEE), le plateau continental étendu et la Zone (ou eaux internationales). Sur chacun de ces secteurs maritimes, les règles de souveraineté de l’État côtier diffèrent : depuis la mer territoriale, où cette souveraineté est entière, jusqu’à la Zone, où un régime juridique international s’applique. S’agissant du sol et du sous-sol des fonds marins (et donc des ressources minières associées), ils relèvent de la souveraineté de l’État côtier au niveau des trois premiers secteurs maritimes. Cependant, dans la Zone, ils relèvent du patrimoine commun de l’humanité et se trouvent sous le contrôle de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

L’évolution historique des accords internationaux a conduit à une diminution importante de la portée du patrimoine commun de l’humanité ainsi qu’à un affaiblissement des prérogatives et de la gouvernance de l’AIFM. Dans la Zone, les règlementations existantes ou en cours d’élaboration (pour l’exploitation) sont insuffisantes pour répondre aux enjeux environnementaux majeurs soulevés par l’activité minière en eaux profondes.

Beaucoup d’attention a été portée ces dernières années aux eaux sous juridiction internationale et relativement peu à celles sous juridictions nationales. Ce constat est paradoxal au regard de l’importance que les zones économiques exclusives (ZEE) représentent pour l’exploration et l’exploitation minière des fonds marins. La surface associée aux titres miniers obtenus dans les eaux « nationales » est quatre fois supérieure à celle des titres obtenus dans la Zone. Lorsqu’ils existent, les régimes juridiques nationaux s’avèrent très insuffisants. L’une des raisons est que les États s’appuient le plus souvent sur les lois qui régissent les gisements terrestres, qui s’avèrent complètement inadaptées aux gisements en eaux profondes.

Le plateau continental correspond au prolongement sous-marin des terres émergées. Tout État peut demander une extension de son plateau continental avec une limite maximale de 350 milles marins (soit 648 km). Une telle demande est intrinsèquement orientée vers l’exploration et l’exploitation des ressources minérales. Le régime d’extension ne comporte aucune obligation environnementale et la plupart des dispositions relèvent uniquement de l’État côtier. Une véritable « course à l’extension » s’est mise en place ces dernières années, avec un nombre élevé de demandes et des surfaces concernées de l’ordre de la dizaine à la centaine de milliers de kilomètres carrés.

Toute extension du plateau continental réduit nécessairement la superficie de la Zone et donc les surfaces relevant du patrimoine commun de l’humanité.

Cheminée d'un évent hydrothermal en activité, couverte d'animaux, Îles Mariannes, océan Pacifique | © NOAA Ocean Exploration · 2016

• Il est nécessaire d’interdire l’activité minière en eaux profondes

Les appels à un moratoire voire à une interdiction de l’activité minière en eaux profondes se sont généralisés ces trois dernières années dans les sphères académiques, associatives, institutionnelles et politiques, et dans des dizaines de pays du monde. Parmi les très nombreuses initiatives et prises de position à l’international, quatre ont été particulièrement déterminantes : deux résolutions du Parlement européen en 2018 et 2021, une résolution de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2021 et un avis défavorable de l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP FI) en 2022.

Tant l’application de l’approche de précaution que celle de prévention aboutissent aux mêmes conclusions :

  • Il est impossible de gérer les impacts graves et prévisibles de cette industrie ;
  • Les dispositions afférentes au statut de patrimoine commun de l’humanité des grands fonds marins dans la Zone ne pourraient pas être respectées en cas d’exploitation ;
  • Le développement de cette activité est incohérent avec l’urgence de protection environnementale et de limitation des effets du changement climatique.

Par ailleurs, la seule finalité de l’exploration des gisements des grands fonds marins ne peut-être que leur exploitation. L’exploration minière a vocation à évaluer un potentiel en ressources minérales et non à acquérir des connaissances sur les écosystèmes marins et leur fonctionnement. Cette dernière mission ne peut être assurée que par la recherche scientifique marine qui est menée dans l’intérêt de l’humanité.

Tous ces éléments conduisent SystExt à prendre position en faveur d’une interdiction de l’exploration et de l’exploitation minières en eaux profondes.