Affronter les réalités de l'industrie minière avant toute relance en France

Témoignages et perspectives issus du colloque Germinal 2.0

Michel CHIODI, géologue chargé de projets miniers
Aurélie CHOPARD, doctorante en Environnement Minier
Raf CUSTERS, chercheur et formateur au GRESEA
William SACHER, doctorant en Economie du Développement
Guy AUGE, membre de l’association de défense des riverains de Salsigne
François ESPUCHE, membre de l’association Gratte-Papiers
Catherine BERTRAM, directrice de la Mission Bassin Minier Nord-Pas-de-Calais
Christian SIMARD, directeur général de Nature Québec
Josiane MADELAINE, vice-présidente du Conseil Régional de Lorraine
Anne-Gaëlle VERDIER, coordinatrice des programmes Outre-mer du WWF France.

Le colloque "Germinal 2.0 : Et si la France redevenait une nation minière ?", organisé par ISF SystExt au Palais du Luxembourg en juin 2015, a rassemblé une dizaine d'acteurs de terrain afin d'éclairer le débat du renouveau minier en France :

La démarche proposée lors du colloque a consisté à confronter les participants aux réalités de la mine d'hier et d'aujourd'hui pour mieux saisir les enjeux de celle de demain. Au travers des interventions et témoignages, ISF SystExt a identifié trois de ces enjeux :

Le présent outil détaille chacun de ces trois sujets au travers d'une introduction (section "En principe"), d'un développement basé sur quatre constats et d'une conclusion (section "Perspectives"). Les douze constats représentent des faits marquants développés lors du colloque et sont ici décrits au travers de paragraphes "Dans les faits" qui rappellent les données connues et chiffrées et de paragraphes "Les premières réponses" qui résument les voies d'amélioration engagées ou préconisées.

- Refuser les impacts environnementaux et sanitaires
- Maîtriser l'offre et la demande
- Développer une intégration territoriale

Un minerai est une roche contenant une ou plusieurs substances d’intérêt (cuivre, or, charbon, etc.) non pas sous une forme pure et utilisable en l’état mais sous une forme disséminée et complexe, en association avec d’autres éléments (arsenic, fer, soufre par exemple). L’exploitation minière consiste à extraire ce minerai du sous-sol puis à concentrer les éléments valorisables qui sont présents en quantité faible voire négligeable dans la roche extraite. A l’heure actuelle sur la planète, les teneurs moyennes varient entre 0,5 et 2% pour le cuivre, 0,1 et 0,3% pour l’uranium ou encore 0,5 et 10 g/t pour l’or. Ces ordres de grandeur expliquent pourquoi la mine génère de grandes quantités de déchets parmi lesquels figurent des «stériles» (roches ne contenant pas assez de minerai pour être économiquement intéressantes), des «résidus» qui se présentent généralement sous forme de boues, des eaux contaminées, des poussières ou encore des gaz toxiques. L’exploitation minière génère donc intrinsèquement des sources de pollution . Plus le processus de concentration est avancé, plus les déchets générés présentent de fortes teneurs en métaux, et plus ces produits sont potentiellement problématiques pour l’environnement et la santé humaine. De la bonne ou mauvaise gestion par l’exploitant de tous ces déchets contaminés dépend la gravité des impacts associés. Malgré les améliorations techniques développées depuis plusieurs dizaines d’années, la mine reste à l’origine d' impacts sanitaires et environnementaux nombreux et catastrophiques : maladies voire mortalité précoce touchant la population locale, dommages irréversibles aux écosystèmes, milieux contaminés pour des milliers d’années, etc.

DANS LES FAITS

Salsigne est une mine fermée en 2004 et située dans l’Aude. Ouverte en 1892, elle fut la première mine d’or en France et la première mine d’arsenic au monde. Dans le gisement, l’or était intimement associé à des sulfures d'arsenic.

Les mineurs exposés aux poussières minérales ainsi qu’au soufre et à l’arsenic abondamment présents, ont contracté de graves maladies. Au quotidien, dans les usines qui traitaient le minerai pour en récupérer l’or et l’arsenic, les ouvriers, dépourvus d’équipements de protection adaptés, inhalaient également les produits chimiques.

Les conséquences immédiates sur la santé des ouvriers, résultant de ces dangereuses conditions de travail , ont pu aller jusqu’à la perforation de la cloison nasale. Vivant à côté de la mine, les familles de mineurs étaient également en première ligne, en particulier les enfants qui pouvaient jouer dans les résidus miniers comme dans des bacs à sable.

Aujourd’hui, comme le rappelle G. AUGE, les scientifiques constatent plus de 11% de mortalité par cancer chez les anciens mineurs et leur famille et cette prévalence se voit multipliée par deux ou trois pour les cancers des poumons ou de l’estomac.

Quelles réponses ?

LES PREMIERES REPONSES

En 1985, suite au nombre élevé de cancers du poumon relevé au service de pneumologie de l’hôpital de Carcassonne chez les ouvriers de la mine, le « cancer bronchique primitif » est finalement reconnu comme maladie professionnelle sous l’impulsion du toxicologue Henri Pézerat. L’arsenic soluble est cependant le seul élément mis en cause laissant les autres composés cancérigènes de côté.

 

Suite à cela, il a été accordé aux mineurs de Salsigne l’indemnité conventionnelle de cessation d’activité anticipée et depuis 2007, les anciens mineurs font l’objet d’un suivi post-professionnel de la part de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et de la Sécurité Sociale des Mines.

Tous les milieux (eau, air, sol) peuvent être contaminés au cours de l’exploitation minière mais aussi après la fermeture du site minier. Parmi les impacts les plus préoccupants, on retiendra les quatre suivants : (1) Les déversements volontaires de résidus miniers qui ont été et restent tolérés. Malgré les mesures prises dans les années 80-90 telle la convention de Londres en 1993, l’inventaire réalisé en 2012 par l’ONG Earthworks recense encore 18 mines dans le monde qui déverseraient plus de 200 000 m3 de résidus par an. (2) Les drainages miniers contaminent massivement les eaux souterraines et de surface. Le drainage minier acide, le plus connu, se produit lorsque des déchets miniers riches en sulfures sont exposés à l’air et l’eau. Une réaction chimique se produit alors, générant de l’acidité et entraînant les métaux lourds en solution. (3) La stérilisation des sols est provoquée par l’implantation même du site d’exploitation et de ses installations, mais aussi par le stockage en surface d’immenses volumes de déchets contaminés (pouvant atteindre des dizaines de millions de mètres cubes). Les surfaces concernées dépassent souvent les dizaines de kilomètres carrés et seules les images aériennes voire satellitaires permettent d’en avoir une vision globale. (4) L’air peut transférer une pollution vers les eaux et surtout les sols, via la dispersion de poussières et de fumées toxiques . A Salsigne, environ 116 000 tonnes de poussières riches en soufre et en arsenic ont été rejetées entre 1924 et 1996, rendant les sols impropres à toute activité agricole voire complètement stériles sur des dizaines de kilomètres.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Etant donné leur complexité et leur diversité, la gestion des impacts liés à l’exploitation minière n’est actuellement pas aboutie. A défaut, la priorité doit être donnée à la prévention des conséquences les plus graves. Pour cela, ISF SystExt propose tout d’abord d’ interdire le déversement de tout déchet minier dans les eaux de surface, y compris en milieu marin. Traditionnellement, la gestion des déchets miniers est simplifiée au maximum : les stériles sont déversés en bordure des chantiers d’exploitation et les résidus miniers sont confinés derrière des digues. En effet, il ne s’agit pas d’une priorité pour l’exploitant minier : manœuvrer ces matériaux coûte de l’argent mais n’en rapporte pas. Cependant, même des dizaines d’années après l’arrêt de l’exploitation, gérer ces déchets représente des coûts importants. Il devient nécessaire d’ adapter les modalités de stockage et de traitement des déchets miniers pour en limiter les impacts de façon pérenne. Quant aux anciens sites qui ont mal été gérés, ils ne peuvent malheureusement être dépollués que partiellement, l’état initial ne pourra pas être retrouvé. Cependant, ISF SystExt rappelle que ces sites contaminés doivent impérativement être pris en charge pour freiner les processus de diffusion des polluants. La France est aussi concernée par cette problématique et semble n’avoir pris conscience que récemment de l’ampleur des dommages causés par l’exploitation minière sur son territoire.

LES PREMIERES REPONSES

Dans l’imaginaire collectif, le Canada est synonyme de cabanes en bois et de forêts verdoyantes. Dans les faits, comme en témoigne C. SIMARD, il ne constitue pas un exemple en matière de défense de l’environnement et il n’est pas épargné par les impacts environnementaux liés à son activité minière. Comme dans beaucoup d’autres pays, la gestion des déchets miniers présente encore de nombreuses failles. Les «parcs à résidus» sont particulièrement concernés par cette mauvaise gestion. Il s’agit de bassins maintenus par des digues pouvant atteindre des dimensions astronomiques et qui permettent de stocker les résidus miniers. Ces ouvrages sont le plus souvent mal dimensionnés et pas suffisamment entretenus et surveillés . Rien qu’au Québec, une douzaine de déversements miniers liés à des ruptures de digues ont eu lieu depuis 2008. A Chapais, par exemple, plus de 11 millions de litres de boues ont été répandus. A Lac Bloom, 5 déversements entre 2011 et 2012 ont eu lieu, dont un de plus de 50 millions de litres. A Mount Polley, en Colombie Britannique, l’état d’urgence a quant à lui été décrété en 2014 suite au déversement de plus de 25 millions de tonnes de résidus miniers. Cette dernière catastrophe était pourtant prévisible : elle a été causée par la surcharge chronique du bassin de stockage .

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Depuis 2008, des efforts ont été réalisés au Québec afin de renforcer la protection et le contrôle environnemental , en particulier en décembre 2013 avec l’adoption du projet de loi 70. Ce dernier impose aux compagnies minières exploitant plus de 2000 tonnes de minerai par jour de se soumettre à une évaluation environnementale. Celles exploitant moins de 2000 tonnes par jour doivent faire l’objet d’une consultation publique pour l’octroi d’un permis minier. De plus, afin d’obtenir un permis minier, les compagnies minières doivent désormais fournir un plan de réaménagement et renforcer les garanties financières portant sur la restauration des sites fermés. Des dizaines de ruptures de digues se sont produites le siècle dernier et de nombreux spécialistes alertent sur la fragilité des centaines de parcs à résidus construits dans le monde. ISF SystExt propose d’ abolir cette technique de stockage et de la substituer par des techniques de confinement plus sures. Bien qu’elles puissent coûter plus cher à l’exploitant lors de l’installation, elles éviteront aux collectivités de supporter des coûts encore plus élevés sur le long-terme.

LES PREMIERES REPONSES

Depuis les années 1990, la Guyane subit une nouvelle ruée vers l’or, liée à la hausse du cours du métal jaune. Cette ruée est marquée par l’ augmentation des exploitants illégaux qui produiraient actuellement dix fois plus d’or que le secteur légal, ce dernier étant caractérisé par des exploitations de taille petite à moyenne. Les impacts environnementaux et sanitaires de l’exploitation illégale sont catastrophiques. En effet, tandis que le secteur officiel est soumis à une réglementation plutôt exigeante, seule la loi du profit à court terme compte pour les 10 000 à 15 000 « garimpeiros » qui travailleraient illégalement en Guyane. Le Plateau des Guyanes qui constituait le plus grand massif forestier tropical relativement préservé il y a encore 20 ans, a depuis subi des dommages irréversibles liés à cette activité incontrôlée. Entre 2000 et 2007, plus de 120 km² de forêt ont été impactés par des rejets boueux et des effluents mercuriels.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Afin de réduire l’implantation anarchique des sites d’orpaillage illégaux, deux réponses sont apportées aujourd’hui : le renforcement des contrôles policiers et la mise en place de filières certifiées . Depuis 2008, l’opération Harpie mobilise près d’un millier de militaires afin de paralyser, même provisoirement, les sites d’extraction clandestins. A.G. VERDIER de WWF rappelle qu’il est important de connaître l’origine de l’or commercialisé, et notamment de distinguer son origine légale ou illégale. En 2011, une étape importante a ainsi été franchie avec l’extension à la Guyane de la Loi sur la garantie . Elle oblige tout comptoir d’or (recueillant le métal « brut », en sortie de mine) à tenir un « livre de police » qui liste ses fournisseurs. De plus, afin d'améliorer la traçabilité de l’or , WWF travaille avec des partenaires guyanais sur l’élaboration d’un référentiel « Or Traçable et Responsable de Guyane » et se penche également depuis 2 ans sur une éventuelle traçabilité analytique de l’or. L’objectif est de pouvoir différencier le métal issu de la filière officielle de celui issu du secteur clandestin, en se basant sur des caractéristiques physico-chimiques.

LES PREMIERES REPONSES

Comme le souligne M. CHIODI : «l’activité minière pollue, a pollué et polluera» . Les impacts environnementaux et sanitaires catastrophiques et irréversibles restent trop fréquents et leur ampleur ne diminue pas, au contraire. Prendre en considération et limiter les impacts environnementaux et sanitaires est primordial dans ce secteur d’activité, et en particulier refuser ses conséquences inacceptables . En tout premier lieu, ISF SystExt estime que les conséquences graves de l’exploitation minière pourraient être diminuées voire empêchées si l’exploitant intégrait véritablement les règles minimums de gestion à toutes les étapes du projet minier (respect du code minier, planification de la réhabilitation, etc.). Bien que l’expression développement durable ne s’applique pas au domaine minier, la notion d’éco-responsabilité pourrait être développée selon M. CHIODI. Ainsi, un label de responsabilité écologique appliquée à l’activité minière pourrait récompenser les meilleures pratiques environnementales et sanitaires. Concernant plus spécifiquement le contexte français, la priorité à toute amélioration dans le secteur minier, est l’ établissement d’un Code minier qui intègre des dispositions environnementales et sanitaires fortes, a minima aussi contraignantes que celles imposées par le Code de l’environnement aux autres secteurs industriels. Ces dispositions réglementaires doivent à tout prix être définies en concertation avec tous les acteurs concernés et la société civile au sens large .

Conséquence de développements démographiques, urbains et technologiques considérables, la demande globale en matières premières minérales devient de plus en plus pressante . Cependant, cette demande se heurte à la répartition géographique inégale des gisements , dictée par les seules règles de la géologie. Ainsi, ceux qui ont besoin de certaines ressources n’en disposent pas forcément dans leur sous-sol ou du moins en quantité insuffisante. Cet état de fait donne lieu à un partage des ressources et des technologies mais constitue surtout un levier stratégique pour les états et les multinationales. Il en résulte des situations monopolistiques , où seules quelques entreprises contrôlent l’exploitation, le transport et/ou la vente d’une (ou plusieurs) ressource(s). Le marché des ressources minérales est exclusivement gouverné par cette captation des activités et par un modèle de développement financiarisé et spéculatif .

Nos sociétés actuelles ne peuvent plus se passer d’un approvisionnement constant en ressources minérales. Selon R. CUSTERS, quatre moteurs expliquent ce besoin grandissant. (1) Notre modèle économique est tourné vers la production massive de biens de consommation . Le parc automobile mondial, qui comporte actuellement 1 milliard d’unités, en est un bel exemple. (2) L’ urbanisation croissante , notamment dans les pays émergents, requiert de grandes quantités de matières premières minérales : en 2025, 1 milliard de Chinois habiteraient en agglomération. (3) Les développements technologiques et la miniaturisation croissante entraînent une intensité métal accrue dans les biens manufacturés, c’est-à-dire une concentration plus grande de métaux à la fois en masse et en nombre. Par exemple, 1,5 km de fil de cuivre sont nécessaires aujourd’hui dans une voiture standard, contre 50 m après la seconde guerre mondiale. (4) L’ augmentation de la démographie amplifiera nécessairement les trois précédentes tendances. Par ailleurs, certains pays émergents sont passés du rôle d’exportateur à celui d’importateur, déstabilisant davantage les schémas d’approvisionnement et augmentant les tensions sur les réserves.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Consciente de la nécessité de sécuriser ses approvisionnements en métaux, l’Union européenne a engagé dès 2005 une révision de son cadre stratégique. Cette démarche a notamment donné lieu en 2008 à la Raw Material Initiative, dont les trois piliers sont : l’ approvisionnement externe , le soutien à l’exploitation minière en Europe ainsi que le développement du recyclage et de l’ économie circulaire . Parallèlement, la Commission européenne a élaboré une liste de 20 matériaux critiques, dans laquelle figurent notamment les terres rares, qui ont été l’objet de tensions très vives lors de l’embargo posé par la Chine en 2010. Il en résulte que « la mine de demain sera le recyclage » , tel que l’exprime clairement M. CHIODI. Aujourd’hui, cette « mine urbaine » permet à la France d’utiliser 30% de fer recyclé pour sa fabrication d’acier. Etant donné la dispersion des éléments utilisés et la complexité des alliages métalliques, la récupération intégrale des métaux utilisés est encore techniquement impossible. Ajouté à une demande croissante en matières premières, le recyclage ne peut couvrir 100% des besoins en minerais . Son développement doit être priorisé face à la diminution du nombre de gisements raisonnablement exploitables, tout en allégeant les villes et les écosystèmes environnants d’une masse de déchets de plus en plus pesante.

LES PREMIERES REPONSES

Le marché des matières premières minérales s’ancre de plus en plus dans une économie financiarisée et spéculative . Dans ce contexte, les sociétés juniors bénéficient d’un pouvoir accru. Elles ont pour mission de détecter de nouveaux gisements exploitables et opèrent pour cela en « green-field », c’est-à-dire dans des zones peu explorées. Elles « préparent le terrain » aux grosses sociétés exploitantes, les majors , qui termineront l’identification et l’évaluation du gisement avant de commencer, le cas échéant, l’exploitation à proprement parler. Comme le rappelle W. SACHER, cette organisation de l’exploration est donc à risque et intrinsèquement spéculative. Les juniors fonctionnent quasi exclusivement sur du capital-risque , c’est pourquoi elles ont besoin d’un cadre judicaire adéquat tel que celui offert par la bourse minière la plus connue au monde : la bourse de Toronto . La grande majorité des transactions mondiales entre sociétés minières s’y déroulent. Cette bourse dispose de règles facilitant la spéculation boursière et c’est d’ailleurs à cet effet qu’elle a été créée sous l’Empire britannique. Elle regroupe de nombreux acteurs financiers qui entretiennent des projets miniers dont le potentiel n’a pas été avéré.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Cette situation rappelle la nécessité de contrôler et de légiférer les transactions réalisées dans les bourses minières comme celles de Toronto ou de Sydney. L’objectif serait de donner l’exclusivité aux projets destinés à la recherche maîtrisée et raisonnée des matières premières minérales. Cela mettrait fin à la vente aux sociétés majors de projets miniers n’ayant aucun intérêt économique, tout en favorisant ceux qui intégreraient les risques économiques, sociaux et environnementaux. Une gestion plus raisonnée des capitaux miniers pourrait également consister en un retour à des projets miniers intégrés , c’est-à-dire ceux où la même société aurait la charge complète du projet : de l’identification du gisement à la réhabilitation du site après exploitation.

LES PREMIERES REPONSES

Pour chaque substance, on peut trouver un groupe d’entreprises qui domine le marché et qui peut même se trouver en situation de monopole. Pour le fer par exemple, trois entreprises détiennent un tiers de la production mondiale et surtout, les deux tiers du transport maritime associé. De plus, certains pays disposent de la majorité des réserves mondiales en une substance, tel le Chili qui produit le tiers du cuivre mondial. Ces situations monopolistiques donnent la possibilité à des multinationales et à des états de faire pression sur les marchés voire de les bloquer. Dans ce contexte, les états «dépendants» comme la France, qui maîtrisent peu ou pas l’import et l’export des matières premières minérales dont leurs industries ont besoin, choisissent le plus souvent de soutenir de façon inconditionnelle le secteur privé. En effet, ces états ne disposent plus ou pas de structures de gestion publique et s’appuient ainsi sur le savoir technologique développé par les industries privées pour répondre à leurs besoins. A titre d’exemple, R. CUSTERS rappelle la posture agressive de la France lorsque son ambassade a soutenu l’industriel Bolloré pour l’exploitation du lithium en Bolivie. Lorsque le levier politique ne suffit plus, des interventions militaires peuvent être menées. L’opération Serval de 2013 au Mali n’est pas sans lien par exemple avec la présence d’uranium et de métaux précieux dans la région.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Comme le schématise R. CUSTERS, il y a un rapport de forces institué entre l’Etat et le secteur privé qui donne lieu à des accords ou à des conflits, sans jamais associer la société civile. Ce schéma doit être redessiné en donnant une place centrale à la société civile. Pour cela, la réappropriation des questions minérales par le grand public et la distinction entre les intérêts de l’Etat et ceux du secteur privé deviennent des préalables indispensables. Une « démocratie » des matières premières minérales est à instaurer afin que les choix faits dans la mine ne soient pas seulement faits par les entreprises, sous le seul prisme de leurs intérêts particuliers.

LES PREMIERES REPONSES

Un paramètre déterminant dans l’exploitation minière est la « teneur de coupure » . Il s’agit de la quantité de métal par tonne de roche en dessous de laquelle l’exploitation d’une mine n’est pas rentable. Sa valeur fluctue au cours du temps car elle dépend du cours de la substance, des coûts de production, de la quantité totale de métal présente dans le gisement, etc. Quelle que soit la substance concernée, la teneur de coupure diminue naturellement au cours du temps et ce, pour trois principales raisons : (1) Les gisements qui restent à exploiter sont de plus en plus pauvres , les plus riches ayant déjà été épuisés pour la plupart. (2) L’ augmentation de la demande influence les cours des métaux, ce qui permet de relativiser les coûts de production associés à l’exploitation d’un gisement présentant des teneurs faibles. (3) Les progrès techniques mis en œuvre pour l’exploitation et le traitement du minerai. Cependant, cette évolution s’accélère depuis quelques années : les gisements exploités présentent des teneurs de plus en plus faibles et les sites miniers, pour rester rentables, deviennent logiquement de plus en plus grands.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

La tendance au gigantisme minier soulevée par l’ensemble des intervenants du colloque doit impérativement être freinée , afin de limiter les risques liés à des exploitations minières dont les impacts ne sont plus maîtrisables. Pour cela, le calcul de la teneur de coupure pourrait intégrer d’ autres critères : non seulement économiques, mais aussi humains, sociaux et environnementaux. Ainsi, la notion de rentabilité ne serait pas limitée à la productivité du site industriel ou aux gains financiers qui peuvent en être tirés. Elle prendrait en compte les externalités négatives et positives du projet minier, tout en cherchant à se conformer au cadre légal du pays concerné.

LES PREMIERES REPONSES

Le monde assiste actuellement à une intensification de l’exploitation minière , dopée par les tensions sur les approvisionnements et par les pressions exercées par les acteurs économiques et financiers. Seule gouverne la volonté d’ augmenter au maximum les marges tout en assurant un approvisionnement prolifique en matières premières minérales, quitte à ne plus prendre en compte et à surpasser la demande. Il s’agit maintenant de réinterroger les besoins réels de nos économies et de s’extraire progressivement de la domination spéculative. La taxation des transactions financières pourrait d’ailleurs freiner la volatilité des cours des métaux et inciter à la diminution du capital-risque dans les projets miniers. Plus largement, la question de la souveraineté des ressources minérales ne doit plus être reléguée au second plan. Les déséquilibres intenses entre offre et demande ne seront durablement réduits que lorsque les peuples pourront participer à la définition des besoins et des moyens pour y subvenir. Ce principe avait d’ailleurs été énoncée lors de la résolution 1803 des Nations Unies (1962) : « Le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’Etat intéressé » (Art. 1) et « (...) Pour la prospection, la mise en valeur, la disposition de ces ressources ainsi que l’importation des capitaux étrangers ... devraient être conformes aux règles que peuples et nations considèrent nécessaires et souhaitables pour autoriser, limiter, interdire ces activités (...) » (Art. 2).

L'exploitation minière bouleverse le tissu économique et social des territoires. Plus que la simple construction d’un complexe industriel, il s’agit d’un projet de société pour une région, voire un pays. Infrastructures conséquentes, afflux massif de travailleurs, emprises en surface immenses, conflits d’usages autour de l’énergie, de l’eau et de l’accès aux sols sont autant de facteurs qui perturbent durablement les territoires sur lesquels s’implante une mine. Pendant des dizaines d’années et encore actuellement, l’importance de ce secteur d’activité réputé créateur d’emplois et de richesses a amené les gouvernants des pays d’accueil à faire de nombreuses concessions aux exploitants et à « fermer les yeux » sur les impacts négatifs de leurs activités. Ces équilibres précaires ne sont aujourd’hui plus assumés. En effet, les anciennes exploitations ont révélé les répercussions à long terme des projets miniers, en particulier celles dont l’ampleur pouvait difficilement être anticipée telles que la déstructuration sociale et la paupérisation . De plus, les aspirations des populations et l’aménagement des territoires ont évolué, conduisant à de nouveaux défis en termes d’intégration territoriale des projets miniers.

Trois grands bassins miniers (houiller, ferrifère et salifère) ont été exploités en région Lorraine et s’inscrivent sur une emprise de plus de 4000 km². Depuis la fin de l'activité minière, les cas d’ effondrements , d’ affaissements et de remontées de nappes se sont multipliés et ont causé d’importants dommages aux infrastructures publiques et aux bâtis. De leur propre aveu, les services de l’Etat ont pris conscience tardivement de ces risques miniers, lorsque des mouvements de terrain sont soudainement apparus dès 1996. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces désordres et leurs conséquences : des mises en sécurité insuffisantes par l’exploitant, la minimisation des risques par les services de contrôle, le manque de suivi et de surveillance pendant et après l’exploitation, etc. Le moteur principal de ces perturbations est incontestablement le mauvais contrôle de l’ennoyage des vides souterrains après l’arrêt de l’exploitation. Lorsque les mines étaient encore en activité, les eaux situées en profondeur étaient pompées pour pouvoir accéder au minerai. Une fois ce pompage de millions de mètres cube d’eau arrêté, les nappes se sont naturellement rééquilibrées. Cette remontée des nappes a eu un impact fort sur la stabilité des terrains jusqu’en surface. Des propriétaires ont vu leur maison se fissurer et des pans de murs entiers s’effondrer, des jardins se sont transformés en étang en quelques semaines, des vides sont apparus en plein milieu de villages, etc.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Devant l’urgence de la situation, l’Etat a annoncé des expropriations et des indemnisations pour les personnes sinistrées. Des lois ont été prescrites en 1999 et 2003 afin de proposer un dédommagements pour la réparation ou le rachat des bâtiments dangereux et/ou économiquement irréparables. Pour autant, les règles d’éligibilité disposent de clauses spécifiques et de nombreux propriétaires sont toujours dans l’attente. Aujourd'hui, d’après J. MADELAINE, peu d'indemnisations ont été réellement accordées ou de manière très anarchique. C'est principalement le Fond de Garantie des Assurances Obligatoires (FGAO) qui participe partiellement à la réhabilitation des bâtiments. Depuis 2007, l’Etat propose et met à jour des documents réglementaires destinés à évaluer et gérer les risques miniers , qu’ils soient liés aux mouvements de terrain, aux échauffements en contexte charbonnier ou aux échappements de gaz. Pour autant, ces dispositions restent insuffisantes pour répondre à toutes les situations ; rien n’est notamment défini pour les risques sanitaires et environnementaux . Les associations citoyennes, tel le Comité de défense des bassins miniers lorrains, continuent de solliciter les décideurs français et européens pour faire reconnaître des droits encore non encadrés d'un point de vue législatif.

LES PREMIERES REPONSES

Le bassin charbonnier du Nord-Pas-de-Calais a connu 270 ans d’exploitation, répondant aux besoins d’un développement économique avide de ressources naturelles et humaines, selon le bilan dressé par C. BERTRAM. Au total, 600 puits ont été foncés, 100 000 km de galeries creusés et 2 milliards de tonnes de charbon extraites. Le quotidien des mineurs et de leurs familles était complètement lié à la mine . Les centres socio-éducatifs, les services de santé, les infrastructures, les logements et même les édifices religieux… tout était géré par l’entreprise minière et les règles de vie dictées par elle. Si le déclin de l’activité charbonnière a été progressif, il s’est accéléré dans les années 60 pour aboutir à la fermeture des dernières fosses dans les années 90. Ce contexte explique pourquoi les bouleversements socio-économiques ont été si profonds à la fin de l’activité minière. A l’ urgence de la reconversion en termes d’économie, de formation, de culture et d’urbanisme notamment, s’ajoutaient la nécessaire gestion de 7 500 hectares de friches industrielles laissées à l’abandon. Aujourd’hui, le développement de la région est ralenti , avec un taux de chômage supérieur à 15%, un revenu médian faible et un niveau de formation encore insuffisant. Plus alarmant encore, les indicateurs sanitaires et sociaux sont préoccupants, avec une surmortalité de 30% supérieure par rapport à la moyenne nationale française.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

La reconversion du bassin minier Nord-Pas-de-Calais s’est déroulée entre trois phases : (1) De 1972 à 1988, une remise à niveau intensive des espaces urbains a été menée sur les voiries, les cités minières, les friches industrielles, etc. (2) De 1989 à 2000, un traitement des stigmates de l’activité minière a été engagé. Dans de nombreux cas, il s’agissait d’effacer toute trace du passif minier en détruisant par exemple certains vestiges. (3) Depuis 2000, une nouvelle politique a été définie, dans laquelle le passif minier est considéré comme une composante essentielle du développement régional. Les risques miniers (en termes de stabilité de terrains, de pollutions, d’échauffements, d’échappements de gaz, de remontées de nappes, etc.) font l’objet de diagnostics détaillés et des millions d’euros sont engagés par l’Etat chaque année pour réaliser les travaux de surveillance et de mise en sécurité associés. La reconnaissance progressive du patrimoine technique, social et culturel du bassin minier a abouti à son inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012 . Cependant, des dizaines d’années d’investissements financiers et humains sont encore nécessaires pour que les indicateurs socio-économiques régionaux retrouvent des valeurs normales.

LES PREMIERES REPONSES

Au cours des initiatives multipartites (consultation publique associée à un projet minier, groupe de travail sur l’évolution de cadres réglementaires, colloque sur les nouveaux enjeux de la mine, etc.), la société civile et le grand public sont le plus souvent déconsidérés . Comme le rappelle J. MADELAINE, le Comité de défense des bassins miniers lorrains, qui a été sollicité pour participer aux travaux de réflexion sur la réforme du Code minier français , a l’impression que les travaux auxquels il a contribué ont été « balayés d’un revers de la main ». Selon A. GOSSEMENT, le groupement participatif qui est proposé dans cet avant-projet de loi ne correspond pas à une procédure renforcée de participation du public, comme annoncé. Le même type de constat est fait au Canada par la Coalition « Pour que le Québec ait meilleur mine ». C. SIMARD dénonce les difficultés que ce collectif, représentant pas moins de 250 000 personnes (citoyens, médecins, groupes environnementaux, syndicats, etc.), rencontre encore pour faire valoir leurs propositions. Il insiste également sur le manque de respect des droits des citoyens et des Premières Nations (autochtones) et demande que de vraies politiques de consultation soient créées en ce sens.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Comme l’ont rappelé tous les intervenants, il est impératif désormais que la question minière ne soit plus laissée aux seules mains des entreprises et des institutions. Tout citoyen est légitime pour apporter son avis aux débats de fond qui se tiennent sur les projets miniers et leur conciliation avec le développement des territoires concernés. Les groupes de concertation doivent être systématiquement mis en place et se rencontrer tout au long d’un projet minier, depuis l’étude du gisement jusqu’à la réhabilitation et la surveillance du site après la fin de l’activité minière. Y. LE BARS propose également de renforcer les capacités des citoyens pour s’approprier le sujet et de favoriser l’émergence d’une société civile plus forte qui relaie et produit une information critique. Tout cela implique un réel effort de toutes les parties prenantes : le gouvernement, la société civile, les collectivités, les citoyens et les industriels.

LES PREMIERES REPONSES

Même dans les pays ayant une capacité plus importante que d’autres à produire des lois contraignantes et à les faire appliquer, les exploitants miniers font reposer le plus souvent les externalités négatives sur la collectivité . Par externalités négatives, on entend : la création d’emplois précaires et risqués, l’amputation des rentes par des manipulations fiscales, la contamination de l’air, de l’eau ou du sol et les impacts sanitaires associés, l’abandon des déchets et des installations minières, la dégradation des infrastructures existantes, etc. Ces conséquences néfastes modifient la qualité de vie des populations et représentent des millions d’euros lorsqu’elles sont chiffrées. Ce sont le plus souvent les régions et pays concernés qui doivent les assumer à moyen et long terme. Au Canada, pas moins de 10 000 mines ont ainsi été abandonnées et se retrouvent désormais à la charge de l’Etat. Les réhabilitations nécessaires représentent des centaines de millions de dollars que le contribuable canadien pourrait être contraint de prendre à sa charge, alors que les bénéfices de l’exploitation sont quant à eux revenus à l’entreprise.

DANS LES FAITS

Quelles réponses ?

Selon W. SACHER, une analyse globale coûts-bénéfices d’un projet minier permettrait de révéler les coûts cachés et de les expliciter alors qu’ils sont aujourd’hui minimisés et mal perçus. Cette démarche permettrait d’assainir les échanges sur les projets en cours ou à venir. L’étude de faisabilité, qui doit déterminer le potentiel économique d’un gisement, repose essentiellement sur l’accessibilité « technique » au minerai, les risques géopolitiques et civils, les infrastructures disponibles et celles à construire, etc. Il pourrait s’agir désormais d’ intégrer de façon détaillée les externalités positives et négatives dès cette toute première phase du projet. La rentabilité « technique » du projet serait dès lors nuancée et potentiellement non garantie. De plus, les études d’impacts qui sont réalisées pour des travaux d’exploration ou d’exploitation sont souvent insuffisamment développées et surtout pas assez quantifiées. De façon générale, comme le rappelle C. SIMARD, les impacts sanitaires et environnementaux de l’activité minière doivent impérativement être pris en compte dans les stratégies économiques. Cette approche permettrait également de prendre des décisions plus fermes en ce qui concerne les zones naturelles ou les patrimoines culturels protégés , qui sont trop souvent relégués au second plan.

LES PREMIERES REPONSES

La mine s’est fréquemment octroyée une position déterminante dans les territoires où elle s’implantait. Les nuisances qui l’accompagnent ont longtemps été minimisées voire dissimulées, de peur de voir s’envoler les contreparties sociales et financières. Face aux promesses non tenues et aux séquelles des anciennes exploitations , ce silence consenti est aujourd’hui brisé. Les populations s’organisent pour protester et se mobiliser : certains demandent réparation ou compensation, d’autres empêchent l’ouverture d’un site par crainte de conséquentes graves, d’autres encore veulent avoir voix au chapitre dans les négociations. Les situations conflictuelles augmenteront en nombre et en taille si les entreprises et les gouvernants ne considèrent pas la société civile et le grand public comme des acteurs à part entière du projet minier. La mine doit davantage se penser comme un projet industriel d’envergure dont le plus grand défi est d’ être intégré au tissu social aux écosystèmes des régions concernées. Les impacts induits pourraient plus facilement être assumés par les populations car ils feraient partie d'une dynamique de développement cohérente avec leurs ambitions. La question se pose de la même façon pour les projets de relance minière en France. Comme le rappelle Y. LE BARS, il n’y a pas ou peu de territoires en France qui ne soient pas déjà le support de plusieurs enjeux : espaces naturels, agriculture, habitat, tourisme, activités industrielles, etc.

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