Rapport d'étude | Controverses minières - Volet 2 · Meilleures pratiques et mine "responsable"

16 février 2023
SystExt

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Ces deux dernières décennies, face à la pression grandissante des populations autochtones et locales, de la société civile et des organisations internationales, le secteur minier a développé une stratégie opérationnelle et politique visant à promouvoir sa capacité à limiter les conséquences de ses activités. Trois leviers ont ainsi été mis en place par l’industrie minière : (1) le développement de techniques et technologies "modernes" et "propres" ; (2) l’instauration de "bonnes" et de "meilleures" pratiques ; (3) la conformité à des standards internationaux, ayant vocation à uniformiser les pratiques minières et promouvoir les meilleures d’entre elles. Le présent tome examine ces deux derniers leviers afin de déterminer la nature exacte des concepts et instruments associés, de comprendre dans quelle mesure ils peuvent contribuer à la limitation des impacts humains, sociaux et environnementaux, et d’évaluer leur efficacité dans la prise en charge de ces problématiques. Ces questions se trouvent en réalité au cœur des principes de mine "durable" et de mine "responsable", également étudiés dans ce rapport. Le croisement de tous ces éléments conduit SystExt à proposer des perspectives pour un modèle respectueux des Hommes et de la nature.

► Le rapport est disponible au lien suivant et téléchargeable en bas de page. Les résultats de l'étude sont détaillés et sourcés dans le rapport d'étude, seule une synthèse en est dressée ici.

• La mise en œuvre des bonnes et meilleures pratiques ne permet pas de réduire suffisamment les risques

Les documentations académiques, industrielles et institutionnelles relatives à l’industrie minière et minérale sont inondées par les termes "meilleure pratique", "bonne pratique" ou encore "meilleure technique disponible". Toute recommandation ou toute perspective afférente aux pratiques minières y fait désormais référence, bien qu’il n’y ait aucun consensus international sur ce qu’ils sont, ou ce qu’ils peuvent être. Leurs définitions s’avèrent effectivement ambiguës. D'après les recherches effectuées, il apparaît qu'une bonne pratique peut se définir comme la manière de conduire une activité à l’image de ce qui peut raisonnablement être attendu de la part de professionnels expérimentés. Son niveau d’exigence dépend du processus de mise en place, depuis les bonnes pratiques autoproclamées (nombreuses) jusqu’aux bonnes pratiques validées (rares). Une meilleure pratique peut se définir comme la manière de conduire une activité, de la façon la plus avancée possible, compte tenu de conditions techniques et économiques données. Elle correspond finalement à ce qui est le plus adapté et accepté sur un site minier donné.

Le développement des bonnes et meilleures pratiques n’est pas synonyme de prise en charge efficace des impacts humains, sociaux et environnementaux de l’industrie minière. À l’inverse, il se traduit par une divergence croissante entre les attentes sociétales et les orientations choisies par les industriels miniers. Les bonnes et meilleures pratiques présentent par ailleurs des lacunes majeures : nombre d’entre elles s’avèrent "élémentaires" et certaines peuvent même être à l’origine d’impacts graves, voire irréversibles. Selon la plupart des chercheurs étudiés, l’inefficacité de leur mise en œuvre s’explique par la priorisation des motifs économiques et financiers.

Déversement de résidus miniers dans la rivière Ajkwa de la mine d’or-cuivre de Grasberg, Indonésie | © Mineral Policy Institute · Février 2006 

• Standards, principes, codes de conduite… les initiatives sont nombreuses mais inefficaces

L'industrie minière est l'une des seules industries à n'être soumises à aucun régime de gouvernance internationale. Elle est régie par des lois nationales et par des initiatives volontaires relevant de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de l’autorégulation industrielle. Il n’existe pas de définition stricte des initiatives volontaires et de nombreux termes s’y rapportant sont utilisés de façon inappropriée. Elles correspondent à une démarche publique ou privée visant à améliorer les pratiques des entreprises au-delà des prescriptions légales. Le qualificatif "volontaire" indique que rien n’oblige une entreprise à adhérer à une telle initiative ni à respecter les exigences associées. L’adhésion à certaines initiatives volontaires peut toutefois comporter des dispositions contraignantes, comme la publication de données, la mise en œuvre de politiques spécialisées au sein de l’entreprise ou encore, dans les cas les plus stricts, la réalisation d’audits par un organisme tiers.

Depuis le début des années 2000, les initiatives se sont multipliées. Le secteur minier au sens large est ainsi concerné par plus d’une centaine d’entre elles. Il en résulte un système complexe composé d’initiatives dont la portée, les objectifs et le fonctionnement diffèrent considérablement. La prolifération d’initiatives si différentes soulève d’ailleurs des enjeux majeurs, en termes de lisibilité, de cohérence et d’efficacité.

SystExt a réalisé un état de l’art des initiatives relatives à l’industrie minière et minérales afin d’évaluer en quoi elles consistent, quel niveau de contrainte elles imposent et dans quelle mesure cet engagement est contrôlé ou vérifié. Cet état de l’art a conduit SystExt à retenir un total de 75 initiatives et à dresser trois conclusions. Une initiative sur deux est "purement volontaire". S’engager à adhérer à une telle initiative ne représente rien de plus qu’une déclaration d’intention. Une initiative sur trois est "volontaire", selon des niveaux de contrainte très variables. Si adhérer à une telle initiative pourrait paraître engageant, cela requiert néanmoins de vérifier la nature des processus d’évaluation de la conformité et la manière dont ils sont conduits. Une initiative sur six relève du droit national ou international. Bien qu’il soit attendu ici le plus haut niveau de contrainte, les limites des outils législatifs internationaux en termes de ratification et de mise en application doivent être prises en compte.

Selon certains chercheurs, les programmes et initiatives volontaires ont participé à une prise de conscience de la part des industriels, qui ont pour certains mis en place des actions ponctuelles, mais, à l’échelle du secteur dans son ensemble, de nombreux efforts doivent encore être réalisés. Selon d’autres chercheurs, les programmes et initiatives volontaires n’ont eu que trop peu, voire aucun, effet sur le terrain.

L’inefficacité des initiatives dans l’amélioration des performances de l’industrie minière trouve son origine dans la faiblesse des exigences et dans le manque de mécanismes d’application, de contrôle et de sanction. Le plus souvent, les initiatives se contentent de fournir des lignes directrices ou des attentes en termes de performances sans expliquer comment les entreprises peuvent les mettre en pratique "concrètement". Ainsi, il est fréquent que les entreprises n’instaurent pas de politique permettant de traduire les engagements en des actions tangibles et ne mettent en place aucune procédure pour : (1) s’assurer de la conformité entre ces actions et les exigences des initiatives ; (2) évaluer l'efficacité de ces actions et apporter la preuve d'améliorations réelles sur le terrain ; (3) mettre en place des actions correctives ou de sanction en cas de non-conformité.

Parc à résidus miniers à l’origine d'une fuite en novembre 2012, mine de nickel-uranium de Talvivaara, Finlande | mediadesk [at] stoptalvivaara.org · Juin 2013 · cc by 2.0

• La mine "durable" ou "responsable" n’existe pas

Parmi tous les acteurs impliqués directement ou indirectement dans l’industrie minière, les avis divergent tellement sur la mine "durable" qu’aucun consensus n’a pu être trouvé à ce jour. Deux principales théories s’opposent, l’une considérant que l’exploitation minière est compatible avec le concept de "développement durable", l’autre, qu’ils sont incompatibles. Ceux qui promeuvent leur compatibilité adhèrent au principe de la durabilité "faible", selon lequel le capital naturel et le capital humain sont interchangeables (la durabilité est, dès lors, atteinte lorsque le stock total de capital est augmenté ou du moins maintenu pour les générations futures). Ceux qui réfutent leur compatibilité adhèrent au principe de durabilité "forte", selon lequel le capital humain et le capital naturel ne sont pas interchangeables (il existe, dès lors, des limites environnementales qui doivent être prises en compte).

Au-delà de ces deux théories, il est néanmoins possible de démontrer que l’industrie minière repose sur un modèle intrinsèquement insoutenable. Les raisons le plus fréquemment rappelées par les auteurs étudiés sont : (1) le caractère fini des ressources minières ; (2) les impacts majeurs et pérennes de l’industrie minière ; (3) la diminution inéluctable des teneurs et la raréfaction des gisements "facilement" exploitables à l’origine de l’augmentation exponentielle des impacts ; (4) l’accélération de la demande métallique ; (5) la non circularité du cycle de vie des matières premières minérales (depuis l’extraction jusqu’à la gestion des déchets). Les bouleversements majeurs, irréversibles et croissants occasionnés par l’industrie minière mettent certes en défaut sa compatibilité avec le principe de durabilité forte, mais aussi avec celui de durabilité faible. Sans pouvoir quantifier les pertes humaines, sociales et environnementales induites à l’échelle mondiale, il est néanmoins possible de postuler que le bilan complet est "négatif". Quant aux tentatives de "compensation" qui peuvent être mises en œuvre, notamment la réhabilitation et la compensation biodiversité pour les enjeux environnementaux, celles-ci s’avèrent largement insuffisantes. Par ailleurs, certaines causes profondes de l’insoutenabilité du modèle minier ne sont pas abordées par ceux qui prônent la mine "durable". Il s’agit en particulier de l’augmentation exponentielle de la production à l’origine d’impacts démultipliés ainsi que des paradigmes économiques et politiques sous-jacents.

Dans ce contexte controversé, la notion de mine "durable" a évolué vers celle de la mine "responsable". Bien qu’elle ne soit jamais définie de façon précise dans les sources étudiées par SystExt, la mine "responsable" correspond dans les faits à un synonyme de la mine "durable". Elle s’apparente finalement à la traduction des démarches de RSE, dont l’inefficacité a été mise en lumière par l’étude des bonnes et meilleures pratiques ainsi que celle des initiatives volontaires.

La mine "durable", la mine "responsable" et les démarches de RSE sont désormais considérées par un nombre croissant d’observateurs et de chercheurs internationaux comme des instruments discursifs et normatifs qui permettent de neutraliser la critique et de dépolitiser les luttes. Parmi ces instruments discursifs, l’un des plus révélateurs est le discours de la modernisation écologique de l’industrie minière.

De façon plus générale, Kemp et Owen (2022) réalisent une analyse critique de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) par le prisme du concept d’irresponsabilité sociale des entreprises (IrSE) (ou corporate social irresponsibility (CSI) en anglais). Ils opposent la RSE, qui relève de l’aspiration et se caractérise par des systèmes de mise en application et de vérification faibles, à l’IrSE, qui permet de démontrer réellement les performances des entreprises minières. Ces auteurs soutiennent ainsi que l’irresponsabilité de l’industrie minière peut être théorisée en 5 faits : (1) L'exploitation minière est une activité intrinsèquement perturbatrice, et maîtriser le potentiel de nuisance requiert des mesures proactives. (2) Les sociétés minières opèrent dans un système de marché qui incite à l'irresponsabilité. (3) Les opérations sont principalement situées dans des espaces physiques et humains qui sont propices à la pratique de l'irresponsabilité. (4) Les sociétés minières résistent activement aux flots réguliers d'initiatives qui visent à limiter l'irresponsabilité. (5) Le pouvoir de produire des biens dont le marché ne peut tout simplement pas se passer, malgré les problèmes de responsabilité bien connus inhérents à leur production, est peut-être le plus grand facteur qui permet au secteur de s'engager dans une irresponsabilité durable.

À la lumière des très nombreux faits et données analysés, SystExt considère désormais que l’engagement d’une entreprise minière dans une initiative volontaire n’apporte aucune garantie quant à la conduite de ses activités. C’est pourquoi SystExt soutient l’analyse de Kemp et Owen (2022) et recommande de s’appuyer sur le concept d’IrSE pour évaluer le niveau de "responsabilité" et de "durabilité" des filières minérales, tant à l’échelle des entreprises qu’à l’échelle des sites miniers (d’exploitation et/ou de traitement du minerai) qu’elles possèdent.

Vue aérienne de la mine d'uranium Ranger, Australie | Rhonda.W · Juillet 2017 · cc by-sa 4.0

• Un modèle respectueux des Hommes et de la nature doit être instauré

Avant même de parler de performances sociale et environnementale, les efforts de l’industrie minière devraient porter prioritairement sur le respect des droits fondamentaux. Pour identifier les actions qui devraient être mises en place, il est indispensable de se baser sur le retour d’expérience des communautés autochtones et locales.

Tout d’abord, le Consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) doit être mis en pratique dans sa définition la plus stricte, c’est-à-dire en reconnaissant le "droit à dire non". Plus largement, il est impératif que les entreprises minières respectent (plutôt que s’engagent à respecter) les droits des populations autochtones et locales à déterminer ce qu’elles souhaitent pour elles et le devenir de leurs territoires. Dans ce cadre, SystExt soutient les recommandations de Goodland (2012) relatives à l'interdiction de toute exploitation minière dans cinq types de zone (ou no-go zones en anglais) : (1) les "réserves" des peuples autochtones ; (2) les zones de conflit ; (3) les bassins versants fragiles ; (4) les habitats spéciaux de biodiversité ; (5) les biens culturels.

La gestion des impacts humains, sociaux et environnementaux de l’industrie minière requiert l’arrêt des pratiques et des techniques qui présentent les plus hauts risques. SystExt appelle ainsi à l’interdiction de 10 pratiques et techniques, quelles que soient les implications pour l’industrie minière : foudroyage par blocs ou block-caving, mine à déplacement de sommet ou mountain top removal mining, exploitation par décapage ou strip-mining, cyanuration, lixiviation en tas, déversement volontaire de déchets miniers dans les milieux aquatiques, méthode de construction «"amont" des digues minières, déplacements et réinstallations induits par l’industrie minière, compensation biodiversité, exploitation minière dans des zones légalement protégées.

Au regard des limites, parfois insolubles, des bonnes et meilleures pratiques, il devient nécessaire de définir un nouveau cadre normatif comprenant les pratiques qui seraient le plus à même d’apporter des améliorations environnementales et sociales tangibles sur le terrain. SystExt propose ainsi sept critères que devrait nécessairement inclure une pratique "tangible". Le premier est qu’elle soit incorporée dans une démarche réglementaire servant l’intérêt public et qu’elle soit inscrite dans des textes législatifs et/ou réglementaires.

La littérature scientifique indique que la réglementation contraignante peut être un moteur plus important pour les performances sociale et environnementale que l'autorégulation de l'industrie. Il est nécessaire de réaffirmer l’importance de la réglementation dans un contexte où elle est insuffisamment appliquée, voire sciemment contournée. Le plus souvent, et contrairement aux idées reçues, le principal obstacle n’est pas l’absence de règles mais la question de leur application pleine et entière. De nombreux mécanismes expliquent ces lacunes : insuffisance des moyens alloués aux organismes de surveillance et de contrôle, manque de compétence et d'expertise technique au sein des organismes d'inspection, pressions politiques internes et externes au pays, influence de l'industrie minière, etc. À ce dernier titre, le secteur minier et les démarches de RSE contribuent effectivement à l’affaiblissement de la réglementation par plusieurs processus. Cette tendance s’ajoute d’ailleurs aux multiples stratégies du secteur minier pour freiner ou empêcher les démarches visant à rendre une initiative (ou certaines de ses dispositions) contraignante.

Selon SystExt, la réglementation contraignante est le seul cadre normatif capable de prendre en charge efficacement les problématiques humaines, sociales et environnementales posées par l’industrie minière dans le monde entier et quels que soient les pays concernés. Si une entreprise souhaite améliorer efficacement ses pratiques, plutôt que de promouvoir des démarches de RSE, elle devrait tout mettre en œuvre pour respecter la réglementation en vigueur et ne mener aucune démarche visant à l’affaiblir ou à la contourner.