Analyse | Extraire des métaux... pour qui, pour quoi ?

18 août 2016
SystExt
Carte du panorama minier en France métropolitaine - L'âge de faire - Lisa Giachino - Infographie : Fanny Pageaud · Juillet 2016

En juin 2016, SystExt a participé à la rédaction d'un cahier spécial sur les mines, proposé par plusieurs collectifs citoyens et le journal mensuel "L’âge de faire". La journaliste Lisa Giachino et plusieurs membres de SystExt ont collaboré pour réaliser ce dossier de synthèse sur la situation de la mine française. Un document pédagogique permettant de prendre conscience des enjeux complexes qui caractérisent les filières minérales.

Le cahier s'organise en trois parties. Un premier article de synthèse rappelle l'omerta qui caractérise la gestion du passif minier français et des impacts sanitaires et environnementaux associés. Il analyse également le regain d'intérêt pour la mine en France mais aussi l'évolution de l'acceptabilité sociale et environnementale dans notre pays, et confirme la nécessité d'un dialogue transparent et ouvert au plus grand nombre sur ces questions.

SystExt y propose une contribution sur le thème "Extraire des métaux... pour qui, pour quoi ?"

► La publication complète est téléchargeable en bas de page. L'intégralité de la contribution est reprise ci-dessous.

Un train sans acier ? Un téléphone sans tantale ? Un avion de chasse sans germanium ? Une plate-forme de forage sans tungstène ? Une éolienne sans néodyme ? Ça n’existe pas. Les matières premières minérales, et les métaux en particulier, sont devenus indispensables à la plupart des biens de consommation de nos sociétés "modernes". Si certaines ressources sont présentes à peu près partout sur la planète, la grande majorité a été distribuée par les règles inégales de la géologie. Et si la France peut prendre part à de nombreux secteurs industriels aujourd’hui, c’est grâce au réseau mondia­lisé des matières premières minérales. Une fois extraites, elles sont concentrées puis intégrées à des composants qui sont eux-mêmes assemblés pour obtenir le produit final. La mine n’est que la partie amont de toute filière industrielle. Et plus le produit fini est sophistiqué, plus les matériaux qui le composent auront des origines variées.

Aucun recul n’est pris sur les usages

Cette situation d’interdépendance soulève plusieurs enjeux. D’abord, et même en imaginant un mode de production indus­triel plus basique (1), la France serait bien incapable d’être autosuffisante en fer, en cuivre ou encore en tungstène. Au-delà de la question de ses réserves propres, il lui faudrait disposer elle-même de toutes les industries de la chaîne de transformation du minerai brut au produit fini. Et ensuite, pour les ressources que sa géologie ne lui offre pas, la France devra toujours les importer.

Jusque dans les années 2000, la France, et les autres pays euro­péens, ne se posaient pas vraiment ces questions sur l’approvi­sionnement en matières minérales. Ils importaient massivement des produits finis, sans se soucier des conditions d’exploitation des dizaines de métaux que ces produits contenaient, et surtout rassurés de n’avoir plus à supporter les conséquences néfastes des exploitations minières qu’ils avaient connues par le passé.

Les premières interrogations sont nées de la peur de manquer, et non pas d’une volonté de mettre en place des filières "propres". En effet, plusieurs crises des métaux ont fait prendre conscience aux décideurs européens que les matières premières minérales n'étaient pas inépuisables, et qu’il était nécessaire de sécuriser la chaîne de production et de logistique. Le vieux continent, aveuglé par sa dépendance, en avait presque oublié les tensions autour de ces ressources. Dès 2008, la Raw Materials Initiative de l’Union européenne (2) a défini une nouvelle politique en trois axes : la sécurisation des approvisionnements existants, la relance de l’ex­ploration et de l’exploitation minière sur le territoire européen, et la promotion des filières de recyclage.

C’est dans ce contexte que les industriels français ont découvert qu’ils n’avaient aucune idée précise (en termes de quantité, de provenance ou d'importance stratégique) sur la plupart des métaux associés à leurs activités. La relance minière en France a alors été présentée comme une évidence au regard des besoins de chaque Français : « Faut savoir ce que l’on veut ! Pas d’or, pas de smartphone ! »

Mais la réalité n’est pas si binaire, et si les "experts" martèlent que la production mondiale explose depuis trente ans et que les besoins en métaux croissent de manière exponentielle, aucun recul n’est pris sur les usages réels qui en sont faits. Des premières estimations - très vraisemblables par ailleurs au regard de la consommation actuelle - démontrent que le recyclage ne suf­fira pas (3), et que l’exploitation des mines restera une source de matières premières minérales indispensable. Mais indispensable pour quoi, et pour qui ? Pour quels pays ? Pour garantir quelle activité stratégique ? SystExt souhaiterait l’établissement d’un organisme capable de répondre à ces questions et de proposer un plan d’approvisionnement national à moyen et long terme.

Sortir l’or du sous-sol pour le stocker dans un sous-sol… de banque

Pour ne prendre que l’exemple de l’or, les permis d’exploration at­tribués récemment dans l'Hexagone pour le métal jaune et le pro­jet de méga-mine en Guyane n’entrent pas dans cette réflexion. Ils n’ont que des fins financières. On pourrait fermer toutes les mines industrielles d’or demain, et utiliser le stock mondial de lin­gots pour satisfaire le peu d’utilisations industrielles et joaillières. Certes, cela impliquerait des perturbations fortes dans l’équilibre financier mondial ; mais n’est-ce pas légitime de s’interroger sur le bien-fondé du principe qui consiste à sortir du sous-sol un métal à grand renfort d’impacts humains et environnementaux pour le stocker dans un sous-sol… de banque ?

La France relance une activité métallique sans avoir analysé ses besoins dans le contexte mondialisé dans lequel elle se trouve. Il s’agit désormais de prendre en compte les enjeux mondiaux des marchés des métaux, les réels défis du recyclage, les besoins des industries les plus stratégiques de notre pays, etc. Et si toutes ces questions doivent être soulevées, c’est parce qu’ouvrir une mine, ce n’est pas simplement construire un complexe industriel : c’est accepter de détruire un bout de la planète, et l’assumer au titre de l’utilisation des ressources extraites.

Trop souvent présentées comme des conséquences malheu­reuses de l’activité minière, les pollutions extrêmes et irréver­sibles, la destruction des écosystèmes, l’augmentation de la vio­lence et de la criminalité, les réseaux de traites et de travail forcé, la criminalisation des opposants aux projets, la militarisation des zones concernées (4), sont en réalité au cœur des projets miniers actuels. SystExt, comme de nombreuses autres structures de la société civile, dénonce le caractère systématique de ces catas­trophes humaines, sociales et environnementales, entretenues par des logiques financières.

Des choix technologiques aux impacts néfastes s’imposent en effet dès lors que la priorité n’est plus d’extraire du métal de la mine, mais de rapporter des bénéfices. Car la mine doit rapporter de l’argent, beaucoup d’argent, et à des actionnaires de plus en plus éloignés de la réalité du terrain. Pour cela, on creuse toujours plus grand, toujours plus profond, pour exploiter des gisements de plus en plus pauvres, tout en cherchant à réduire au maximum les coûts. Cela, tous les ingénieurs de la mine pourraient en témoi­gner.

Gigantisme

Alors que la tendance mondiale est à ce gigantisme forcené, comment donc croire en une mine "responsable" ? A l’heure actuelle, rien ne laisse penser que le futur Code minier français imposera une responsabilité économique, sociale et environne­mentale aux futurs exploitants. La mine doit être repensée, et le cadre légal remanié, afin de ne plus voir la mine comme un simple projet industriel mais comme un projet d’intérêt général pour l’ensemble de la société, permettant de garantir un apport en ressources minérales véritablement nécessaires dans des conditions soutenables et concertées.

Et la mine ne sera pas plus "responsable" parce qu’elle utilise des outillages "derniers cris". On a mis de la modélisation nu­mérique et de l’automatisation partout où on le pouvait, mais les techniques d’extraction et de traitement du minerai n’ont en fait pas été fondamentalement révolutionnées depuis un siècle. Et si ces techniques n’ont pas changé, c’est parce que nous n’avons pas été capables collectivement de sortir du modèle producti­viste et financier que connaissait déjà la société de Germinal.
 

► Références

(1) Voir notamment Philippe Bihouix "L’âge des low-tech : vers une civilisation techniquement soutenable" (Seuil, 2014), sur les limites des technologies vertes, des réseaux intelligents et du "tout-progrès".
(2) Disponible en français sur http://eur-lex.europa.eu
(3) Voir notamment le rapport de l’ONU de 2013 Metal Recycling – Opportunities, Limits, Infrastructure sur www. unep.org
(4) Voir notamment le dernier rapport de Human Rights Watch Les droits humains dans les chaînes d'approvision­nement, 30 mai 2016 sur www.hrw.org/fr/