Une lutte sans fin, les nouveaux conquérants du quadrilatère d’or
► Voir la version anglaise de cet article (16/10/2016) · English version.
Le quadrilatère d’or, véritable trésor géologique
Situé au sud des Monts Apuseni, le « quadrilatère d’or » est un district minier de 2 400 km² qui présente des ressources minérales exceptionnelles. Bien que cette région soit surtout connue pour ses riches gisements aurifères, elle renferme également d’importantes réserves en argent, en cuivre, en plomb, en zinc, ou encore en mercure. Exploitée depuis des siècles, cette province métallifère reste l’une des plus riches d’Europe.
Gisements et sites miniers en exploration ou en exploitation dans le quadrilatère d’or | Source : The Guardian · Septembre 2013 · dans Protests continue in Bucharest against gold mine plan in Rosia Montana
Une histoire inhérente à l’exploitation de l’or
Le « quadrilatère d’or » compte aussi parmi les plus anciennes régions minières européennes. L’or y a été exploité dès l’époque romaine. Considérée comme « L’Eldorado européen » au début du 20ème siècle, la région connaît alors une modernisation industrielle mais l’épuisement des filons les plus accessibles engendre un déclin de l’activité après la Seconde Guerre mondiale. Sous le régime communiste, l’exploitation de gisements polymétalliques à faible teneur entraîne une intensification des techniques (multiplication des usines de traitement, des fonderies et des mines à ciel ouvert).
« Rosia Montana, cité minière », affiche à l’entrée du village de Rosia Montana | SystExt · Juillet 2016 · cc by-sa-nc 3.0 fr
Une nouvelle ruée vers les Monts Apuseni
Aujourd’hui, les Monts Apuseni attirent toujours autant la convoitise des exploitants miniers. Depuis 1999, 150 permis ont été attribués pour des gisements d’or et d’argent. Dans les environs de Certej, 6 permis ont été attribués en zone naturelle protégée Natura 2000 : ceux de Certej, Certej Nord, Baita Craciunesti et Mires sont détenus par Deva Gold SA, filiale de la compagnie canadienne Eldorado Gold, et ceux de Săliște Hondol et de Troita Pitigus sont détenus par European Goldfields Deva SRL. La superficie totale des six permis représente 4 865 hectares ! Les demandeurs ont sciemment fragmenté le territoire en plusieurs demandes : un projet de taille restreinte est mieux accepté, bien que les impacts potentiels se cumulent à l’échelle du bassin.
Concessions minières attribuées entre 1999 et 2014 dans les environs de Certej | D’après un outil cartographique en ligne de Mining Watch Romania, consulté en août 2016
Les ambitions d’Eldorado Gold pour le projet de Certej
Le projet minier de Certej est détenu à 80% par la compagnie canadienne Eldorado Gold et à 20% par la compagnie d’Etat Minvest. Le gisement, contenant 1,8 g/t d’or et 10 g/t d’argent, devrait être exploité durant 16 ans. Ici, Eldorado Gold prévoit la déforestation de 187 hectares et l’installation de deux fosses pour l’extraction de 48 millions de tonnes de minerai, qui seraient ensuite traitées par cyanuration. Le stockage des résidus miniers serait assuré par deux barrages installés dans la vallée de Mare Bosca. En cas de rupture de ces ouvrages, les villages de Hondol, Bocşa Mică, Săcărâmb et Certej seraient directement concernés, comme ils l’ont été le 31 octobre 1971 lorsqu’un barrage de résidus miniers a cédé sur le même site minier (alors exploité par une compagnie d’Etat), causant la mort de 89 personnes.
Site minier de Certej en cours d’exploration | Mining Watch Romania · Novembre 2015
Une mobilisation forte, dénonçant des travaux illégaux
Le projet de Certej fait face à une forte opposition à l’échelle tant nationale qu’internationale, appuyée par la mobilisation autour du projet de Roşia Montană. Dès 2014, l’association Mining Watch Romania, soutenue par une pétition de 11 000 signatures, dénonce l’illégalité du permis de construire de l’exploitant. Elle obtient gain de cause par une décision du 22 Juillet 2016 de la Cour de Justice de Cluj-Napoca. Le permis qui autorisait Eldorado Gold à commencer l’installation des infrastructures, notamment les bassins de résidus miniers, est invalidé. Pour autant, quelques jours après cette décision juridique, les populations locales témoignaient de la poursuite des travaux, en toute illégalité.
« Demandez [au président] Iohannis de respectez la loi », Affiche de plaidoyer | Mining Watch Romania · Novembre 2014
Roşia Montană, un gisement de classe mondiale
L’exploitation industrielle à Roşia Montană débute sous l’ère communiste. Après la chute du régime en 1989, la situation économique se détériore et l’entreprise d’Etat Minvest réduit considérablement le nombre d’employés, de 1 500 à 800. L’absence de rentabilité et les pressions de l’UE dans le cadre des processus d’adhésion de la Roumanie conduisent à la fermeture du site minier en 2006. Pourtant, les réserves encore disponibles seraient considérables : 215 millions de tonnes de minerai à 1,5 g/t d’or et 7 g/t d’argent.
Roşia Montană, déchets miniers associés aux anciens travaux | SystExt · Juillet 2016 · cc by-sa-nc 3.0 fr
Le dantesque projet de Gabriel Resources
Dès les années 2000, avant même la fermeture du site par Minvest, Gabriel Resources propose un nouveau projet. Elle fonde l’entreprise « Rosia Montana Gold Corporation » (RMGC) qu’elle détient à 80%, les 20% restant étant possédés par Minvest. Sur une période de 16 ans, l’entreprise envisage une production de 314 tonnes d’or et de 1 480 tonnes d’argent. Le procédé de traitement choisi est la cyanuration. Pour exploiter ce vaste gisement à faible teneur, il est prévu le creusement de 4 mines à ciel ouvert d’une profondeur de 150 m à 300 m.
Centre village de Roşia Montană, affiche de l’entreprise minière apposée sur des bâtiments rachetés par elle « Rosia Montana existe grâce à l’exploitation minière ! Aidez-nous à maintenir les valeurs traditionnelles minières des Monts Apuseni ! » | SystExt · Juillet 2016 · cc by-sa-nc 3.0 fr
Des impacts humains et environnementaux considérables
L’actuel village de Roşia Montană disparaîtrait sous les énormes dépôts de déblais provenant des fosses. Les résidus miniers cyanurés seraient stockés dans un immense bassin (de 4 km de long, 2 km de large et 180 m de haut), remplissant entièrement une vallée voisine où se trouve le village de Corna. Le site minier couvrirait une surface de 4 284 ha, nécessitant la démolition de plusieurs villages. Le millier de familles concerné serait délocalisé dans les environs. Pour cela, l’entreprise RMGC a d’ailleurs construit un nouveau village à 5 km de là, ainsi qu’un nouveau quartier dans la ville d’Alba-Iula.
Transformation de la région de Rosia Montana prévue par le projet RGMC | Source : Michel Deshaies · 2009 · dans L’or controversé de Transylvanie
Une lutte sur tous les fronts
Dès le lancement du projet, l’entreprise minière s’installe à Roşia Montană, emploie des habitants pour l’exploration et leur demande de vanter les mérites du projet, rachète les terrains et les maisons… Elle ira même jusqu’à engager des psychologues pour convaincre les familles réticentes à la vente de leurs maisons. Parallèlement, l’association Alburnus Maior, appuyée par des ONG nationales et internationales, lance des procédures juridiques et acquiert l’invalidation de nombreuses autorisations. En 2013, le gouvernement roumain approuve un projet de loi autorisant l’exploitation. La mobilisation s’amplifie : pétitions, organisation d’un festival accueillant des milliers de personnes… Des dizaines de manifestations sont organisées partout en Roumanie, comptant jusqu’à 20 000 personnes à Bucarest. Le gouvernement renonce finalement au projet de loi.
Inscription murale dans les locaux de l’association Alburnus Maior | SystExt · Juillet 2016 · cc by-sa-nc 3.0 fr
Ils ont gagné une bataille, pas la guerre
Aujourd’hui, Gabriel Resources s’est retirée de Roşia Montană, montrant qu’il est encore possible de gagner contre des géants miniers et financiers. Cependant, une grande partie des bâtiments et des terrains appartient encore à la compagnie. Les habitants tentent de trouver une alternative à la mine telle que la valorisation du patrimoine et le tourisme mais l’ombre de l’entreprise minière rôde toujours. Et si Alburnus Maior, Mining Watch et les autres associations restent en alerte, c’est parce que d’autres compagnies minières pourraient de nouveau s’intéresser à l’or de Roşia Montană..
Rencontre avec Eugen David (Alburnus Maior) et Raluca Veștemeanu (de.clic et Mining Watch Romania) | SystExt · Juillet 2016 · cc by-sa-nc 3.0 fr
► Pour aller plus loin...
• Certej gold mining, Romania, Environmental Justice Atlas. Localisation et description.
• Resource grabbing at Certej (First release maps), Mining Watch Romania, Enquête et cartographie.
• Metallogeny of the Gold Quadrilateral, S-N. Vlad, E. Orlandea. 17p. (2004). Rapport.
• L’or controversé de Transylvanie, Michel Deshaies, Revue géographique de l’Est (2009). Rapport.
• Transylvania – Undermined territory, Mining Watch Romania. 42p (2013). Rapport.
• Protests continue in Bucharest against gold mine plan in Rosia Montana, The Guardian (04/09/2013). Article.
• En Roumanie, les citoyens remportent une victoire contre le projet de mine d’or à Rosia Montana, Reporterre (10/09/2013). Article.
• «L’or, que l’enfer le mange» – Reportage à Rosia Montana, Article 11 (14/09/2013). Article.
• Dezastrul de la Certej, Hunedoara, despre care nu vorbeste nimeni. Noi lacuri cu cianuri construite de Deva Gold Corporation!, Vremuritulburi (13/11/2014). Article.
• Certej: Official confirmations of illegal building permit. The National Construction Authority demands the permit’s annulment, Mining Watch Romania (19/01/2015). Article.
• Eldorado’s Deva Gold forced to stop works at Certej, Mining Watch Romania (21/07/2016). Article.
• L’incertitude dans la politique de gestion des acteurs impliqués dans un projet minier roumain « Rosia Montana Gold Corporation » (R.M.G.C.), S. Hristescu, I.L. Catrina. 9p. Document.