Comprendre la relance minière en France et ailleurs par les mobilisations citoyennes, l’enjeu du PACTe

20 juin 2018
SystExt
Lors de l'enquête dans le Limousin | SystExt · 2017 · cc by-sa-nc 3.0 fr
Depuis plusieurs années, SystExt est témoin du regain d’intérêt pour les ressources minérales en France et ailleurs. Ainsi, l’association a démarré en 2016 le Programme d’Accompagnement des Collectifs et Territoires mobilisés sur les débordements miniers (PACTe) qui s’inscrit dans la continuité des échanges initiés en 2014 entre SystExt et des associations mobilisées contre les impacts des activités minières.

• Programme d’Accompagnement des Collectifs et Territoires mobilisés sur les débordements miniers (PACTe)

Avec l’appui de la Fondation Un Monde Par Tous et la Fondation pour le Progrès de l’Homme, ISF SystExt a débuté mi-2016 un programme d’étude intitulé "Programme d’Accompagnement des Collectifs et Territoires mobilisés sur les débordements miniers" (PACTe). Ce projet était destiné à faciliter la reconnaissance d'un mouvement citoyen critique à la fois du bilan du passé minier (nécessaire afin de comprendre ce qui s’est passé pour anticiper ce qui pourrait se reproduire) ainsi que des enjeux actuels et futurs de ces activités. Il s’agissait ainsi de faciliter la réappropriation citoyenne des ressources minérales en tant que patrimoine commun.

En effet, la seule évolution des techniques dans le domaine minier ne peut constituer une assurance suffisante contre les erreurs et accidents des pratiques minières dominantes. Il apparaît que les conditions d'encadrement des projets miniers et les dispositifs institutionnels doivent être robustes sur le long terme afin de prévenir de futurs dommages et d’éviter la dilapidation du patrimoine géologique. Il y a donc un enjeu fort à identifier et illustrer les liens entre les anciens sites miniers, les projets entièrement neufs et les anciens sites potentiellement ré-ouvrables pour comprendre la complexité et les insuffisances du système encadrant l'activité minière.

Ce programme s’est articulé autour de trois axes :

  • La réalisation d’un sondage à destination de tous les collectifs et associations.
  • Quatre enquêtes de terrain dans le Nord, la Bretagne, le Limousin et la Lorraine, pour rendre compte de la situation sur des territoires concernés par l’activité minière passée, actuelle ou future.
  • Un forum (voir article sur le sujet) destiné à relayer les problématiques et enjeux de la gestion des ressources minières françaises, à faciliter la rencontre entre les acteurs associatifs qui questionnent l’activité minière en France et en Europe et à diffuser les résultats du projet.

• Compréhension des enjeux de terrain : enquêtes et sondage

Réalisées entre en 2016 et 2017, quatre enquêtes ont permis de mieux cerner les principaux enjeux et impacts de certains territoires. Ces enquêtes ont eu lieu :

  • dans le Nord, afin d’aborder plus particulièrement les questions de patrimoine minier et des enjeux sociaux ;
  • en Bretagne, avec une orientation sur les dynamiques de concertation ;
  • en Lorraine, région confrontée notamment aux aléas géotechniques de l’après-mine ; 
  • dans le Limousin, avec en particulier l’étude de la pollution des sols et des eaux provoquées par les exploitations uranifères et aurifères.

Un travail de sélection a conduit à choisir ces régions qui permettaient, d’une part, de couvrir l'ensemble du cycle minier (de la phase d’exploration jusqu’à la fermeture des sites miniers), et, d'autre part, de rendre compte de plusieurs types de substances minérales (charbon, uranium, or, métaux critiques, etc.).

Préparé avec l’aide d’un comité de suivi, composé de journalistes et de militant·e·s de terrain, un sondage a été envoyé à plus de 60 associations et collectifs français. L’objectif de ce questionnaire était d’intégrer des données (contexte minier à travers des questions sur la situation minière et les raisons de leur mobilisation, format et pratiques d’actions de l’association, état des besoins pour un renforcement de capacités, etc.) de territoires non couverts par les enquêtes de terrain. Malgré un taux de participation assez faible, ce travail a permis à SystExt de consolider son annuaire militant et a fourni des informations plus détaillées sur certains contextes de mobilisation.

• Capitalisation écrite et orale du PACTe : forum d’échanges et ouvrage de sensibilisation

La diffusion des enseignements du programme PACTe s’est appuyée sur l’organisation d'un forum d’échanges sur les mobilisations minières en France et en Europe. Il s’agissait de diffuser les résultats des enquêtes réalisées par ISF SystExt en 2016-2017 et d’échanger sur des thématiques de fond allant au-delà des enjeux et moyens des luttes locales. Le forum a réuni près de 70 personnes, que ce soit des membres de collectifs et associations questionnant l’activité minière, ou des chercheur·se·s et des journalistes. Le programme du forum a été construit de façon à mettre en exergue :

  • les expertises locales développées au cours des actions militantes ;
  • les résultats concrets des luttes actuelles et passées avec une analyse des victoires et des échecs ;
  • les besoins en accompagnement ou en expertise des collectifs de terrain.

Voir publication consacrée à cet évènement.

L'ensemble de ces travaux ont donné lieu à deux publications. D’une part, ISF SystExt a soutenu la rédaction par la Revue Z d’un ouvrage destiné à mieux faire connaître les enjeux des ressources minérales et de leur exploitation (Brier M., Desquesnes N., 2018, Mauvaises Mines - Combattre l’industrie minière en France et dans le monde, Agone). D’autre part, ce projet a été présenté par ISF SystExt le 23 novembre 2017 au colloque "Les paroles militantes dans les controverses environnementales" organisé par le Centre de recherche sur les médiations (CERM, Université de Lorraine). Un article est en cours de publication dans la série "Actes" de la revue Questions de communication, suite à cette intervention.

Principaux enseignements de cette démarche

Ce travail révèle plusieurs enseignements sur les luttes en cours contre les impacts miniers.

1. Les actions citoyennes ou populaires permettent de faire émerger des vides juridiques et techniques (sur le dédommagement du passif minier, sur la surveillance environnementale, sur les processus de consultation des riverains, sur le déficit démocratique dans les politiques industrielles, etc.). Par exemple, le concept de "mine verte" ou “mine responsable” est critiqué car non formalisé et sans cadre légal réellement contraignant permettant de savoir ce qu’il y a concrètement derrière ce terme. Selon les expériences des collectifs, il est utilisé surtout pour communiquer sur des "bonnes pratiques" du secteur minier.

2. Ces actions citoyennes ou populaires permettent de pointer des incohérences dans les politiques publiques. Il s’agit notamment de questionner le soutien au secteur extractif primaire face à des annonces sur le développement d’une nouvelle économie sobre en ressources. Elles favorisent la sensibilisation des populations au paradoxes entre rareté et gaspillage des ressources, à l’opacité des filières d’exploitation, et aux liens d’interdépendance entre les différents territoires et pays du globe (et donc à la nécessité de modes de production plus soutenables).

3. Un aspect essentiel de ces mobilisations est leur capacité à montrer les contradictions inhérentes à l’activité minière. D’abord, en racontant une autre histoire des réalités minières, elles illustrent le décalage entre, d’un côté, un mythe entretenu par les industriels et les institutions sur la modernité de l’activité minière et, de l’autre, les logiques financières des modes de productions actuels qui conduisent à des impacts graves et systématiques.

4. Ce décalage est renforcé par l’opacité et la rétention d’informations, pratique caractéristique du secteur. Qu’elles soient entre les mains des industriels ou des pouvoirs publics, il est très difficile d’avoir accès à toutes les données d’un projet, et les promoteurs miniers - qu’il s’agisse d’entreprises d’exploration (juniors) ou de réels exploitants (mid-tier et majors) - utilisent régulièrement l’apparente complexité et technicité de la mine pour mettre en place un discours rassurant et nier aux populations locales et ONGs leur capacité à prendre part au débat. Ce manque chronique de transparence est un argument de poids largement repris dans les mobilisations locales pour dénoncer l’absence de débat démocratique. Mais ce besoin de transparence arrive toujours “a posteriori” et ne permet que rarement de mettre en débat l’opportunité et l’utilité même du (re)développement de projets miniers.

5. Afin de déchiffrer et d’analyser les documents techniques et/ou les réalités géologiques, environnementales et financières d’un projet minier, le recours à une expertise indépendante “citoyenne” ou alternative ne semble pas toujours efficace ou même possible, notamment en raison des moyens (financiers et humains) qu’un tel travail requiert.

6. La perte ou l’étiolement de la mémoire collective sur les territoires impactés, tant en termes de conditions de travail, que d’impacts sanitaires, environnementaux, sociaux, économiques ou territoriaux, rend souvent les populations vulnérables face au discours de modernisation de la mine défendu par les promoteurs. L’innovation technique est présentée comme bonne garante de pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé humaine, rendant ainsi inutiles la mise en place d’autres mécanismes de régulation de l’activité minière. La mémoire collective est fragile, pouvant parfois disparaître en une ou deux générations.

7. Concernant les pouvoirs publics et les élu·e·s (locaux, régionaux ou nationaux), leurs relations avec les collectifs et associations mobilisées sont ambivalentes. En effet, l’autorité publique centralisée est censée réguler l’activité minière et défendre les droits fondamentaux des citoyen·ne·s ; mais elle est également bénéficiaire (directement ou indirectement) de la rente minière, par le versement d’impôts et de taxes. Par ailleurs, les États se retrouvent, à la faveur de leurs Codes Miniers en vigueur, systématiquement responsables des impacts graves à long terme de l’activité minière, dont le coût réel n’est jamais intégré ; coût particulièrement difficile à évaluer, il est vrai. Au niveau local, certain·e·s élu·e·s ont tendance à rallier soit la bannière des promoteurs et de l’Etat qui promettent des emplois et du dynamisme pour des régions souvent déclassées, soit celle des populations en faveur d’une recherche collective d’alternatives de développement et de bien-être, au service de l’environnement et de la santé publique. Les organisations militantes peuvent donc en faire des alliés ou, au contraire, être contraintes de composer avec ces acteurs pour élaborer leurs revendications.

8. Si les luttes citoyennes en contexte minier (après-mine, prospection ou projet en cours) se cristallisent quasiment toujours autour du droit à défendre son mode de vie et son bien-être localement, les collectifs et populations mobilisés prennent rapidement conscience des enjeux mondiaux liés à l’exploitation des ressources minérales, notamment le négoce des matières premières et les logiques spéculatives qui les entourent. Un réseau d’échanges et de dialogue, autant sur les aspects techniques ou financiers, qu’organisationnels, est cependant essentiel pour favoriser cette prise de conscience. Même parmi les opposant·e·s les plus radicaux·ales à toute forme d’exploitation minière, les enjeux de gestion collective des ressources et de justice environnementale à l’échelle de la planète deviennent très souvent des pierres angulaires pour la mise en place de stratégies de luttes et de plaidoyer.