Soutien | Recommandations de la société civile pour le Groupe d’experts sur les minéraux essentiels à la transition énergétique

3 septembre 2024
Mouvement d'organisations internationales
Sels lithinifères prêts à être collectés avant traitement, Salar d'Uyuni, Bolivie | Dan Lundberg · août 2017 · cc by-sa 2.0
Le monde a besoin de toute urgence d’une élimination juste et rapide des combustibles fossiles et d’une transition vers un système énergétique mondial 100 % renouvelable et sans émission de carbone. Aucun retard n’est justifié. L’idée selon laquelle nous devons donner la priorité soit à la lutte contre le changement climatique, soit à la défense des droits humains, est un faux débat. Les engagements en matière de changement climatique ne seront respectés que lorsque les droits humains, l’équité et l’inclusion seront au cœur des politiques climatiques. Le lancement du groupe du secrétaire général des Nations unies sur les minéraux essentiels à la transition énergétique (UN Panel on Critical Energy Transition Minerals) est l’occasion d’élaborer des principes mondiaux visant à garantir que l’approvisionnement en minéraux nécessaires à l’élimination progressive des combustibles fossiles favorise la justice, l’équité et les droits humains. Pour aider à guider le groupe du secrétaire général des Nations unies, nos organisations, qui rassemblent plus de 286 groupes de peuples autochtones, des syndicats et des activistes du travail, des organisations de défense du climat, des droits humains, des droits des enfants et de justice environnementale ont élaboré des recommandations décrivant comment une approche transformatrice des minéraux de transition peut contribuer à un système énergétique mondial plus juste.


Principes visant à garantir que les minéraux de la transition énergétique favorisent la justice, l’équité et les droits de l’homme

1. Réduire la demande de façon équitable

1.1. Les gouvernements, en particulier dans les pays développés, devraient réduire la consommation de matériaux et d’énergie, en accord avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius d’ici 2030, afin de réduire la surconsommation de minéraux de transition et de permettre une énergie équitable, efficace et suffisante pour toutes et tous. Ils devraient veiller à ce que la surconsommation d’énergie ne se fasse pas au détriment d’un manque d’accès à l’énergie dans les pays en développement. Les gouvernements doivent soutenir l’objectif de développement durable des Nations unies d’une énergie fiable, durable et moderne à un coût abordable pour toutes et tous. Lorsqu’ils mesurent les émissions de gaz à effet de serre pour éclairer leurs prises de décision, les gouvernements devraient veiller à ce que l’ensemble du cycle de vie des biens consommés dans leur pays soit pris en compte, et pas seulement leur utilisation finale. 

1.2. Les gouvernements, en particulier dans les pays développés, devraient réduire la demande en minéraux du secteur des transports à travers des politiques permettant des changements systémiques vers le déploiement de transports publics électrifiés et en supprimant les obstacles à l’accès aux transports publics, en investissant dans des modèles de planification urbaine qui impliquent les communautés et favorisent la marche, le vélo et le covoiturage, et en réduisant la taille des véhicules privés et des batteries.

1.3. Les gouvernements devraient promouvoir et assurer la mise en œuvre effective, y compris à travers la régulation, des pratiques d’utilisation responsable telles que : une circularité accrue en repensant les systèmes et les produits pour allonger leur cycle de vie et permettre une utilisation optimale des matériaux ; exiger la modularité, la standardisation et la facilité de démontage ; promouvoir un accès solide à l’information pour la réparabilité, la réutilisation, le réemploi ; et exiger un recyclage approprié. Les gouvernements des pays développés devraient veiller à ce que leurs politiques n’entraînent pas la mise au rebut incontrôlée, dans les pays en développement, de déchets industriels provenant d’installations de traitement et de technologies rendues obsolètes par cette évolution.


Véhicules hors d’usage (VHU) après dépollution, démantèlement et pressage | greenzowie · mai 2014 · cc by-nc-nd 2.0 deed

2. Protéger les personnes et la planète

2.1. Les gouvernements et les entreprises doivent protéger et respecter le droit des peuples autochtones à l’autodétermination et à un consentement libre, préalable et éclairé avant et pendant l’octroi de licences, l’extraction et le traitement des minerais, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) et à la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (Convention relative aux peuples indigènes et tribaux).

2.2. Les gouvernements devraient développer un cadre solide pour identifier, évaluer, prévenir et, ou atténuer les impacts spécifiques sur les territoires des peuples autochtones si et où de tels projets d’extraction et de traitement ont lieu et s’assurer que les peuples autochtones ont accès à ces informations avant que l’exploitation minière n’ait lieu. Les institutions financières devraient adopter des politiques visant à évaluer et à signaler les risques liés aux droits des populations autochtones dans les entreprises qu’elles financent et dans leurs propres investissements.

2.3. Les gouvernements et les entreprises doivent veiller à ce que toutes les communautés et tou·te·s les détenteur·rice·s de droits jouissent du droit d’accéder aux informations pertinentes et de participer aux décisions qui les concernent de manière sûre et inclusive, appropriée culturellement et selon l’âge, tout au long du cycle de vie des projets, notamment en ce qui concerne les décisions relatives à l’octroi de licences et de permis pour les nouvelles opérations d’extraction et de traitement, les mesures d’intervention et de préparation en cas d’urgence, le déclassement la fermeture et la reconversion des sites existants. Les gouvernements devraient également s’assurer que tous les citoyen.ne.s peuvent participer à l’élaboration des politiques dans le secteur des minerais de la transition. 

2.4. Les gouvernements devraient négocier, ratifier et mettre en oeuvre des traités contraignants et des lois et réglementations nationales obligeant les entreprises à respecter les droits humains, les droits des peuples autochtones et le droit du travail, tout au long de leur chaîne de valeur, en faisant preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement et en permettant aux détenteur·rice·s de droits concerné·e·s d’avoir accès à des voies de recours utiles.

2.5. Les gouvernements et les entreprises devraient veiller à ce que les peuples autochtones, les communautés locales et les travailleur·euse·s du secteur formel et informel aient accès à des voies de recours et à une assistance juridique en temps utile lorsqu’ils·elles sont lésé·e·s par l’extraction ou le traitement des minerais, à la fois par le biais de processus efficaces et transparents non judiciaires et judiciaires au niveau de l’État et de mécanismes de réclamation au sein de l’entreprise, y compris à travers la coopération transfrontalière lorsque les voies de recours dans le pays hôte sont inaccessibles ou inefficaces.

2.6. Les gouvernements devraient veiller à ce que les entreprises qui extraient et traitent des minerais respectent les normes internationales les plus strictes en matière de droits humains, de droits des peuples autochtones, d’environnement et de gouvernance dans le cadre de leurs propres activités et de celles de leurs entités affiliées, notamment en procédant à des évaluations rigoureuses de l’impact sur l’environnement, la société et les droits humains, sur la base des meilleures technologies et pratiques disponibles, en faisant preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement et en adoptant des mesures d’intégrité et d’anticorruption fondées sur les risques.

2.7. Les gouvernements et les entreprises devraient promouvoir et faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur minier, notamment en encourageant la participation des femmes aux processus décisionnels, en luttant contre la violence fondée sur le genre et en garantissant un accès équitable aux avantages et aux ressources.

2.8. Les gouvernements et les entreprises devraient interdire et éviter toute prospection ou exploitation minière dans les zones de conservation protégées et autres lieux de grande valeur en termes de biodiversité, de conservation et de patrimoine culturel, ainsi que dans les puits de carbone de grande valeur, et appliquer le principe de précaution pour soutenir des mesures efficaces de protection de l’environnement.

2.9. Les gouvernements et les entreprises devraient réduire au minimum et être transparent à propos de leurs émissions de gaz à effet de serre provenant de l’extraction et du traitement des minéraux, notamment en éliminant rapidement l’utilisation de combustibles fossiles pour l’énergie, en garantissant l’absence de déforestation et en favorisant les méthodes d’extraction et de traitement ayant la plus faible intensité d’émissions.

2.10. Les gouvernements et les entreprises devraient mettre fin à la criminalisation des défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme et reconnaître et s’engager à protéger leurs droits et leur légitimité en adoptant et en divulguant des politiques pertinentes pour les protéger contre les attaques, les assassinats, les exécutions extrajudiciaires, la violence, le harcèlement, y compris sous la forme de litiges stratégiques contre la participation publique (SLAPP), et la répression, et fournir des réparations efficaces. Le gouvernement et les entreprises devraient protéger et respecter l’espace civique et la liberté des médias.


Mobilisation contre le projet de fer de Gállok (Kallak) près de Jokkmokk, Suède, menaçant plusieurs communautés autochtones Sámis | © Fridays For Future · février 2022

3. Soutenir des politiques fiscales et de développement équitables

3.1. Les gouvernements des pays développés et les institutions financières internationales devraient fournir aux pays en développement qui produisent des minerais de transition le financement adéquat sous forme de subventions, l’assistance technique et les transferts de technologie nécessaires pour maximiser de manière responsable la valeur qu’ils tirent de l’extraction et de la transformation des minerais et promouvoir la production nationale et l’utilisation des technologies d’énergie renouvelable.

3.2. Les gouvernements devraient adopter, et les institutions financières internationales promouvoir, des régimes fiscaux qui équilibrent la fiabilité et la flexibilité, et minimisent les risques d’évasion fiscale, notamment en exigeant l’utilisation de mécanismes de tarification transparents tels que les prix de référence lorsque cela est possible, en évitant les exonérations fiscales et les allégements de retenue à la source, et en limitant le champ d’application et la durée des clauses de stabilité.

3.3. Les gouvernements, en particulier dans les pays producteurs, doivent veiller à ce que les recettes fiscales générées par l’extraction, le traitement et la transformation des minéraux favorisent le développement durable et équitable et génèrent des avantages tangibles pour tou·te·s les citoyen·ne·s, et en particulier pour les peuples autochtones, les communautés locales affectées par des projets d’exploitation minière, les enfants et les jeunes, et les femmes.

3.4. Les gouvernements devraient soutenir un processus ambitieux de réforme fiscale mondiale dans le cadre de la convention-cadre des Nations Unies sur la coopération fiscale internationale afin d’éviter l’évasion fiscale, les prix de transfert abusifs et d’autres formes d’évasion fiscale dans les opérations internationales, tels que les conventions de double imposition, et d’améliorer le partage d’information à travers les frontières.

3.5. Les gouvernements devraient adopter des réglementations et des mesures incitatives qui favorisent les modèles d’entreprise apportant une prospérité partagée, à travers les générations, par le biais d’une gouvernance participative, telle que la propriété ou la cogestion totale ou partielle par la communauté, soutenue par des conditions fiscales justes, permettant aux personnes affectées par les projets d’exploitation minière, y compris les femmes, les peuples autochtones, les personnes de différents genres et les exploitants miniers artisanaux et de petite échelle, de s’asseoir à la table des négociations.

3.6. Les gouvernements devraient adopter des politiques qui favorisent l’inclusion d’exigences en matière de contenu local dans les projets d’extraction minière, en veillant à ce que les communautés locales bénéficient d’opportunités d’emploi, de développement des compétences et d’opportunités commerciales liées au secteur minier. Les politiques de contenu local doivent être mises en œuvre de manière à ce que les bénéfices soient équitablement répartis et libres de toute corruption.

3.7. Les gouvernements devraient garantir, à travers des politiques et lois robustes en matière d’accès à l’information, la transparence des revenus générés par l’extraction, la transformation et le commerce des minéraux, notamment en exigeant des gouvernements et des entreprises qu’ils divulguent les licences, les contrats, les accords de partenariat, les accords commerciaux et d’investissement, les informations relatives à la propriété effective, la production, les volumes vendus et transformés, les coûts, les informations relatives à l’audit des coûts, les paiements aux gouvernements par projet, les données économiques des projets, et les déclarations fiscales pays par pays (CBCR).

3.8. Les gouvernements et les entreprises devraient mettre en place des politiques fondées sur les risques qui appliquent une tolérance zéro à l’égard de la corruption dans les secteurs de l’exploitation minière, du traitement et du commerce des minerais, notamment en ce qui concerne l’octroi de licences, de permis et d’approbations, les marchés publics et les contrats avec les fournisseurs, la vente et le commerce des matières premières; et les gouvernements devraient renforcer les capacités institutionnelles d’enquête et de poursuite des personnes et des entreprises impliquées dans des affaires de corruption.


Usine de traitement du nickel, Morowali, Indonésie | Iqbal Lubis - The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) · décembre 2022 · cc by-sa 2.0

4. Promouvoir un commerce et des investissements internationaux équitables

4.1. Les gouvernements devraient réformer les cadres internationaux d’investissement et de commerce pour encourager un nivellement par le haut en matière de gouvernance, de normes sociales et environnementales et permettre aux pays d’ajouter de la valeur aux minerais extraits de leur territoire. Les pays riches en ressources devraient avoir la possibilité de gérer leurs exportations de minerais en accord avec leurs stratégies nationales de développement et d’expérimenter les différents outils politiques à leur disposition d’une manière transparente, responsable, inclusive et démocratiquement responsable.

4.2. Les gouvernements devraient se retirer des accords existants qui prévoient un règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) ou y mettre fin, supprimer les clauses liées à l’ISDS des accords existants et trouver des accords mutuellement bénéfiques qui ne menacent pas la souveraineté des pays et leur capacité à renforcer les systèmes juridiques nationaux et les politiques en matière de droits humains et d’environnement, tout en veillant à ce que les différends puissent être résolus d’une manière transparente et stable.

4.3. Les gouvernements devraient annuler et restructurer la dette des pays à revenu faible et intermédiaire, selon les besoins, afin d’éliminer les pièges de la dette qui empêchent les minéraux de contribuer au développement durable des pays producteurs et créer une plus grande marge de manœuvre budgétaire pour soutenir l’industrialisation nationale et la diversification économique. Les gouvernements devraient examiner de près tout accord de troc de minerais, tout prêt adossé à des ressources et tout autre accord sur les minerais afin de s’assurer des bénéfices publics et locaux.


Mine de charbon à ciel ouvert, district de César, Colombie | Corporación La Rotativa - The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) · mars 2023 · cc by-sa 2.0

5. Garantir une action forte des Nations unies sur les minéraux de transition

5.1. Les gouvernements devraient s’appuyer sur les normes et principes volontaires convenus de manière multilatérale et équitable, y compris ceux qui seront publiés par le groupe d’experts du Secrétaire Générale des Nations unies, par le biais de traités contraignants et de lois et règlements nationaux qui exigent que les gouvernements et les entreprises respectent les droits humains, les droits des peuples autochtones, protègent l’environnement et adhèrent aux meilleures pratiques en matière de bonne gouvernance, étant entendu que seuls des cadres contraignants peuvent conduire à des changements.

5.2. Le Secrétaire général des Nations unies devrait mettre en place un mécanisme des Nations unies, basé sur une approche inclusive et participative garantissant l’accès des communautés locales affectées et des peuples autochtones, chargé de surveiller, d’enquêter et de traiter les plaintes relatives aux droits humains, aux droits des peuples autochtones, à l’environnement ou à la gouvernance liées à l’extraction et au traitement des minerais.

5.3. Le Secrétaire général des Nations unies devrait charger un groupe de travail multipartite, comprenant la participation directe des peuples autochtones, des syndicats, des communautés locales dans lesquelles se déroulent l’exploitation de minerais de la transition, et des groupes de la société civile, de superviser un plan de mise en œuvre pour donner suite aux recommandations du groupe sur les minéraux critiques pour la transition énergétique, notamment par le biais d’une réunion annuelle pour suivre les progrès de la mise en œuvre, et lui fournir les ressources nécessaires.


Exploitation industrielle de jade, Birmanie | Hosana Chay, NRGI Myanmar - The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) · janvier 2018 · cc by-sa 2.0