Analyse | Épuisement et surconsommation des ressources : quelles solutions ?

5 mars 2016
SystExt
Décharge de déchets électroniques | baselactionnetwork - cc - 2013
Inscrite dans la préparation de la COP21 et dans l’attente du nouveau paquet législatif européen sur l’économie circulaire, la conférence des Amis de la Terre tenue le 3 novembre dernier visait à discuter des solutions face à l’épuisement des ressources et à leur surconsommation.

Contenu mis à jour le 01/05/2016.

Une quinzaine d’intervenants membres des associations les Amis de la Terre, Zero Waste France ainsi que des membres du gouvernement tels que Pascal Durand, eurodéputé Groupe des Verts / Alliance Libre Européenne, Antoinette Guhl, adjointe à la mairie de Paris, ainsi que des représentants d’entreprises telles que SEB et Malongo et d’organismes publics tels que le BRGM étaient présents afin de discuter et travailler les questions liées à nos modes de consommation.

Le sujet a été travaillé selon 5 axes :
• la législation française et européenne liées à l’économie circulaire,
• les solutions apportées par la société civile, en particulier : la substitution ; la mesure de notre consommation ; la durabilité et la réparabilité des produits,
• la mise en place d’une société de partage.

Des précisions sur les pièges à éviter et sur les freins politico-culturels aux solutions évoquées seront également apportées au fil des paragraphes. De plus, les méthodes d’extraction et de recyclage des métaux ont également été soulevées et seront ici discutées par SystExt au travers des travaux de Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon [1] ainsi que ceux de l’United Nations Environment Programme (UNEP) [2].

Le dernier rapport des Amis de la Terre [3]  fait part de la surconsommation des ressources naturelles, en particulier au niveau de l’Europe. En effet, le vieux continent est l’un des continents les plus consommateurs de matières premières dont la grande majorité est importée, ce qui le rend d’autant plus vulnérable aux fluctuations des prix. Dans ce rapport, un parallèle tente également d’être établi entre la gestion des ressources et le changement climatique pour lequel les bénéfices de l’action vis-à-vis de l’inaction ont été développés dans le rapport Stern au Royaume-Uni en 2006. Nicholas Stern affirme que l’investissement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique ne freinerait nullement l’économie mondiale tandis que l’inaction serait, à moyen-terme, terriblement plus néfaste. En effet, une action visant à baisser de 25% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 n’entraînerait que de faibles perturbations économiques, de l’ordre de 1% du PIB mondial [4]. Quelles sont alors les pistes d’action à développer contre la surconsommation et l’épuisement des ressources naturelles ?

L’économie circulaire ? … un pas nécessaire

Comme l’indique l’article 70 de la Loi relative à Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) [5], « la transition vers une économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits, et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets ». Le schéma suivant [C.Cros - 03/11/2015] matérialise ainsi les trois domaines d’action de l’économie circulaire et leurs piliers :

La production durable repose sur : l’approvisionnement durable, l’écoconception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité ; la consommation durable repose sur : la consommation responsable et l’allongement de la durée d’usage ; la gestion des déchets repose sur le recyclage. L’ensemble de ces domaines d’action forment un cycle, où chaque étape entraîne la suivante.

Cependant, comme le met en avant Sylvain Angerand des Amis de la Terre, ce cycle fermé qui vise à réutiliser ou valoriser les déchets est un système qui reste une solution partielle, indissociable d'une réduction de la consommation des ressources.

La substitution ? … à considérer à plus grande échelle

Substituer un matériau par un autre à première vue moins impactant en termes humains et environnementaux peut être une solution, mais l’impact de la substitution doit alors être mesuré à grande échelle. Comme l’a signalé Sylvain Angerand, des Amis de Terre, les substitutions que nous mettons en place engendrent des effets indirects que nous ne mesurons pas toujours. Prenons comme exemple, le développement des agro-carburants en Europe : celui-ci favorise la consommation de l’huile de colza produite en Europe depuis une dizaine d’années mais engendre malheureusement une augmentation de l’importation de l’huile de palme pour les activités agroindustrielles. De même, l’utilisation du bioéthanol augmente la demande en canne à sucre et déplace ainsi les pâturages brésiliens vers des zones forestières.

Des produits durables et réparables ?... un rempart face à l’obsolescence programmée

Mieux concevoir afin de mieux préserver nos ressources est un élément important que doivent prendre en considération les industries. La logique industrielle est malheureusement trop souvent de privilégier des matériaux moins chers et moins résistants, une manière de programmer volontairement l’obsolescence des produits et de s'assurer que le consommateur rachète plus rapidement. Cette stratégie permet aux industries d'assurer un marché pour leurs produits et donc d’assurer leurs bénéfices. Aujourd’hui cependant, des entreprises comme SEB annoncent privilégier l’allongement de la durée de vie de leurs produits ainsi que leur réparabilité. En proposant des produits réparables, en fournissant les pièces de remplacement et en développant des structures de réparation de proximité, les entreprises fidélisent et mettent en confiance leur clientèle tout en participant à la création d’emplois. Le bricolage revient également à la mode, de plus en plus de repair-café voient actuellement le jour permettant aux "bricoleurs du dimanche" de pouvoir réparer leurs objets en ayant accès aux outils, aux matériaux et aux conseils avisés de réparateurs plus expérimentés.

Le partage ? ...un nouveau mode de consommation

Comme l’a fait remarquer Pascal Durand, eurodéputé Groupe des Verts, le modèle productiviste qui consiste à produire, consommer, jeter et s’endetter doit tendre vers un système d’économie de partage et de logique d’usage plutôt que de propriété. En effet, l'économie de partage est un outil stratégique afin de réduire notre consommation globale. Notre perceuse nous sert en moyenne 13 minutes par an, si nous pouvions la louer ou la partager cela permettrait de réduire la fabrication et la consommation inutile de ressources. Cette nouvelle vision, combinée au développement des technologies de l'information, a permis l'apparition de nombreux sites de partage de tous types de produits et de services, dans le sillage de Blablacar dont le succès ne cesse de croître. Alors que ces outils de partage n'étaient utilisés que par une niche de consommateurs engagés il y a quelques années, ils entrent aujourd'hui dans le quotidien de tous.

Greenwashing et effet rebond… attention au piège

Bien que des solutions semblent émerger : économie circulaire, substitution, réparabilité, etc., il faut cependant faire attention aux détournements de l’argument écologique. En effet, le greenwashing ou blanchiment écologique en français est une pratique marketing de plus en plus utilisée par les entreprises qui transforment davantage l’engagement écologique en argument de vente. D’une part, cela joue sur la psychologie des consommateurs et d’autre part, les effets induits par ces nouvelles technologies moins polluantes ou moins coûteuses en énergie sont rarement estimés et pris compte, c’est l’effet rebond. Dans un rapport du Breakthrough Institute [6], Jesse Jenkins indique : « A chaque fois que nous progressons de deux pas du point de vue de l'efficience énergétique et donc la réduction des coûts, l'effet rebond signifie un recul en arrière d'un pas ou plus, allant parfois jusqu'à ruiner les gains réalisés au départ ». Si l’on reprend l’exemple de Blablacar, cette entreprise ne participe plus seulement de la substitution et de l’essor d’une société de partage, mais également du développement des trajets routiers.

Mesurer notre consommation ?... une nécessité

Effectuer des bilans terres, eau, matériaux et carbone (mesures des terres utilisées, de la consommation en matériaux, des volumes d’eau utilisés et des émissions de gaz à effet de serre associés à la productivité) représente un enjeu capital afin de contrôler les niveaux d’utilisation et d’élaborer des objectifs de réduction de notre consommation. Concernant les ressources minérales, SystExt insiste sur le fait qu’un changement en profondeur des pratiques de l’exploitation minière nécessite l’implication forte des citoyens. En effet, le grand public, qui consomme au quotidien des dizaines de métaux sans même le savoir, doit être conscient des dommages causés par l’exploitation minière, nécessaire à la fabrication de tous nos biens de consommation et en particulier des appareils électroniques (dont la consommation n’a cessé d’augmenter ces dernières années). Les populations seront ensuite en capacité de réinterroger leurs modes de consommation et d’exiger des pratiques respectueuses de l’homme et de l’environnement, pour le bien des générations futures.

Politique et culture… des freins à nos bonnes résolutions

L’économie de partage et la sobriété dans notre consommation ne semblent malheureusement pas un modèle durable, du moins pour l’instant. En effet, exploiter le potentiel environnemental du partage de biens impose des choix appropriés de la part des pouvoirs publics, des entrepreneurs et des consommateurs. D’un côté, le gouvernement se doit de construire un cadre économique et réglementaire favorable au modèle vertueux et durable. Des politiques publiques promouvant l’écoconception des produits et l’allongement de leur durée de vie ou encore une fiscalité intégrant au mieux les externalités environnementales renforceraient l’intérêt et l’engagement écologique des entreprises. D’un autre côté, le consommateur doit prendre conscience de la culture de surconsommation dans laquelle il est plongé. Les considérations environnementales ne sont pas absentes des motivations individuelles, il faut simplement les exploiter et surpasser l’effet de mode souvent imposé.

Le recyclage des métaux ? ...impossible en totalité

Le recyclage des métaux est un processus très complexe qui évolue rapidement et qui englobe de nombreux défis liés au développement durable. Comme le soulignent Philippe Bihouix et Benoît de Guillebon, auteurs du livre Quel futur pour les métaux ? [1], il est impossible « de recycler l’intégralité des métaux que nous utilisons, et donc d’entrer dans une économie parfaitement circulaire ». En effet, les deux auteurs précisent que cette impossibilité est liée au fait que les métaux sont utilisés sous forme d’alliages et sous forme de composés chimiques dans des usages qu’ils appellent « dispersifs ». Ces usages sont présents dans des domaines tels que la cosmétique, la peinture, l’agriculture, etc. Concernant les métaux ferreux, 400 à 500 millions de tonnes par an sont recyclés pour une production mondiale de 1,3 milliard de tonnes, le recyclage représente ainsi environ un tiers de la production mondiale.

La figure ci-dessous, issue d'un rapport de l’UNEP [2], représente le taux de recyclage fonctionnel de quelques métaux en fin de vie. La notion de recyclage fonctionnel indique que les propriétés physiques et chimiques qui ont initialement permis au matériau d’être utilisé sont conservées pour une utilisation ultérieure. Afin de refléter le niveau de certitude des données ainsi que les estimations, les données sont divisées en cinq intervalles : >50%, >25-50%, >10 -25%, 1-10% et <1%. Il est à noter que, pour dix-huit des soixante métaux le taux de recyclage est situé au-dessus de 50%. Trois autres métaux sont dans le groupe >25 -50%, et trois autres dans le groupe >10 -25%. Pour un très grand nombre de métaux en fin de vie, peu voire aucun recyclage n’est actuellement réalisé, soit parce qu'il n’est pas économique, soit parce que les technologies appropriées n’existent pas.

Taux de recyclage de 60 métaux en fin de vie pour un recyclage fonctionnel. Les cases vides indiquent qu’aucune donnée n’est disponible. Ces évaluations ne considèrent pas les métaux issus des centrales électriques ou de charbon. [UNEP - Recycling rates of metals – Mai 2011]


Ces faibles pourcentages, mesurés au niveau mondial, soulignent le retard de nos sociétés en matière de recyclage mais également le fait que ce dernier ne constitue pas une solution miracle et que de nombreux défis restent à relever. Dans la pratique, l’efficacité du recyclage est liée à trois facteurs. Tout d’abord, le facteur économique : la valeur intrinsèque nette des matériaux recyclés doit être assez élevée afin de justifier le coût de recyclage. Le deuxième facteur est technologique : la conception actuelle des produits rend le démontage et la séparation des matériaux difficiles et les technologies de recyclage n’ont pas toujours suivi la complexité croissante des produits modernes. Le dernier facteur est quant à lui lié à la société : habitudes de recyclage, campagnes publiques sur les objectifs de recyclage, soutien à la recherche, stratégie nationale, etc.

Néanmoins, avec le nouveau paquet législatif sur l’économie circulaire, adopté le 2 décembre dernier, les habitudes européennes en termes de recyclage devraient évoluer. En effet, au programme de ce nouveau paquet se trouve « un plan d’action et de mesures modifiant le cycle de vie des produits générant des bénéfices tant pour l’environnement que pour la croissance en matière d’emplois. Sont notamment incluses, des mesures liées à la réduction du gaspillage alimentaire, des actions en matière de réutilisation de l’eau, la promotion du recyclage et de l’efficacité énergétique ou encore l’élaboration de normes de qualités applicables aux matières premières secondaires » [7]. Une révision de la législation en matière de gestion des déchets a également été définie : « la Commission souhaite réduire significativement les déchets à long terme et favoriser le recyclage à hauteur de 65 % pour les déchets municipaux et 75 % pour les déchets d’emballages d’ici 2030 » [7]. Il faut cependant attendre que ces directives soient validées par les institutions européennes et que le gouvernement français les transcrive en droit national. De plus, de nombreuses améliorations sont à apporter au niveau technologique et la question d’extraire moins et de consommer plus raisonnablement, absente du paquet européen, doit être considérée sérieusement.


► Sources

[1] Bihouix, P., de Guillebon, B. (2010). Quel futur pour les métaux. EDP Sciences, Paris, 299p.
[2] UNEP - Graedel T E, Allwood J, Birat J P, Reck B K, Sibley S F, Sonnemann G, Buchert M, Hagelüken C. (2011). Recycling Rates of Metals - A Status Report, A Report of the Working Group on the Global Metal Flows to the International Resource Panel. 48p.
[3] Amis de la Terre (2015). La surconsommation : une bombe à retardement. 8p.
[4] Célestin-Urbain, J. (2008). Conséquences économiques à long-terme du changement climatique. 8p.
[5] Loi relative à Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) : Loi n°2015-992 du 17 Août 2015 - Article 70.
[6] Jenkins, J., Nordhaus, T., & Shellenberger, M. (2011). Energy emergence: rebound and backfire as emergent phenomena. Breakthrough Institute, Oakland.
[7] Dalloz (2015). Adoption du paquet législatif « Economie circulaire ».