Analyse | Il faut réconcilier la mine, la santé et l'environnement !

1 mai 2016
SystExt
Banderole réalisée par un membre de SystExt à l'occasion des manifestations du 1er mai 2016 | SystExt - 2016 - cc-by-sa 3.0 fr
Le 27 février 2016, SystExt a eu l'honneur d'accueillir Alain Renon, journaliste à Radio France Internationale (RFI) et co-auteur des documentaires "Scandale environnemental à la porte des Cévennes" et "Cévennes : révélations sur une pollution cachée". Ces enquêtes alertent sur une pollution environnementale et sanitaire de grande ampleur due à l'exploitation du plomb et du zinc à Saint-Félix-de-Pallières, petit village du Gard situé à la porte de l'un des plus beaux parcs naturels français : les Cévennes. À partir de ce cas d'étude, les échanges entre Alain Renon et SystExt ont porté plus largement sur la place et le rôle de l'ingénieur minier dans le triptyque industrie-environnement-santé. Triptyque qui apparaît incompatible dans la plupart des sites miniers d'aujourd'hui et d'hier et qui place l'ingénieur minier dans une situation délicate, où travailler avec éthique devient parfois un défi insurmontable.

La primauté historique des enjeux industriels sur les enjeux environnementaux et sanitaires

L'éclairage historique d'Alain Renon a mis en exergue la primauté des enjeux industriels sur les enjeux environnementaux et sanitaires. Au début de l'ère industrielle minière en France, les zones d'exploitation constituent la "cour privée" de l’exploitant. L'Etat n'a pas de réelle visibilité sur ce qui s'y passe, et ne cherche pas non plus à en avoir. L'idée que la nature absorbe et assimile les déchets miniers est fortement répandue et ne permet pas d'interroger une prise en charge des impacts environnementaux. En 1983, la création des DRIRE [1], qui deviennent les DREAL en 2010 [2], symbolisent une volonté de prise en charge plus importante des enjeux environnementaux dans l'industrie au sens large, et dans l'industrie minière, en particulier. Selon Alain Renon, ce n'est que récemment que les enjeux sanitaires émergent, en venant se rattacher indirectement aux aspects environnementaux.

Les catastrophes européennes de rupture de bassins de stockage de résidus miniers dans les années 2000 (tel que Baia Mare en Roumanie ou Aznalcollar en Espagne) poussent l'Union européenne à adopter une directive en 2006 [3] demandant aux états de mieux gérer et de surveiller leurs déchets miniers. Si la préoccupation environnementale existe depuis longtemps dans le secteur nucléaire ; dans le secteur minier, elle n'a pratiquement existé que sous le prisme de la productivité. Aujourd'hui encore, on ne prend ces éléments en compte que lorsque la question de l'environnement entre préalablement dans le dossier. Or, dans le cas de scandales de pollutions cachées comme celui de Saint-Félix, c'est toute une population qui voit sa santé potentiellement affectée (sans compter le million de visiteurs qui passe par les Cévennes chaque année...).

La responsabilité des pouvoirs publics : complicité avec les entreprises ou manque de compétences et de temps ?

Les trois millions de tonnes de déchets contaminés laissés par l'exploitant belge Umicore dans la région d’Anduze posent la question suivante : quid des organismes chargés de veiller à ces pollutions ? Si le manque de régulations de l’État, encore aujourd'hui, n'a pas fait débat, les explications données à cet échec ont varié. S'agit-il d'une volonté de la part de ces organismes de dissimuler des informations pourtant publiques, pointant du doigt une possible soumission de l'intérêt général aux intérêts privés de l'industrie ? S'agit-il tout simplement d'un manque de temps et de compétences de la part des personnes en charge de documenter ces impacts ? La faible collaboration avec les collectifs citoyens, le manque d'approfondissement des études d'impacts, le débordement technique et temporel des salariés chargés de suivre les dossiers... freinent l'impulsion nécessaire vers une après-mine à la hauteur des enjeux qui se dressent devant nous. Cependant, il est difficile d'évaluer quelle est la part d'intentionnalité chez les acteurs concernés à perpétuer un système de contrôle défaillant et quelle pression est mise par les lobbys industriels pour s'assurer qu'il le reste.

La posture sacrificielle du mineur

Au premier rang des pollutions, on pourrait penser que les mineurs seraient les plus enclin à en parler. Pourtant, selon Alain Renon, les mineurs qu'il a pu interroger sont souvent assez réticents à s'exprimer. Peut-être par peur de se voir accuser d'avoir participé à ces pollutions mais aussi par fierté de leur métier ? On ne veut pas "trahir" le secteur qui nous a employés. Mais lorsque le temps a rendu les impacts sur leur santé visibles, les langues se délient plus facilement et les mineurs se révèlent être une source privilégiée et colossale d'informations permettant d'éclairer les pollutions de l'industrie, dont l'opacité est quasi-totale dans certains cas. Les mineurs sont en effet, souvent, la seule mémoire de certains actes industriels, jamais consignés ni, a fortiori, archivés.

L'ingénieur minier citoyen : l'autre épine dans le pied industriel

Quel rôle jouent alors ces ingénieurs qui n'acceptent plus de fermer les yeux sur les impacts produits par les entreprises minières pour lesquels ils travaillent ? Tout d'abord, le chemin est difficile pour en arriver là, car le conformisme créé dès l'entrée en école d'ingénieur, à grand coup de discours décrivant l'ingénieur minier comme une élite dévouée à l'approvisionnement en minéraux de notre modèle économique, favorise un esprit corporatiste dont il est difficile de se détacher sans risquer de passer pour un paria auprès de ses pairs. Les bénévoles de SystExt ne savent que trop bien que ceux qui dévient d'une pensée purement extractiviste et qui questionnent simplement les risques que posent le secteur minier doivent parfois s'en cacher, de peur de vivre une situation de rejet dans le milieu. Ce changement de paradigme est donc difficile à assumer au quotidien pour qui "ne cadre plus dans le moule".

Néanmoins, l'ingénieur minier citoyen, au-delà d'être le symbole d'un système qui ne tient plus, une brèche dans la façon de concevoir l'extraction de minéraux, touche aussi l'arme la plus efficace des industriels, son opacité. Parce qu'il est au coeur de l'entreprise, il est un moyen de lever le voile de la transparence autour de la boîte noire qu'est l'industrie minière. Parce qu'il comprend la technicité des enjeux, il est capable de les déceler et de les partager avec la société civile. Il doit donc jouer le double rôle de gardien de la responsabilité que doit avoir l'entreprise vis-à-vis de l'environnement et de la santé mais aussi être un relai démocratique vers une meilleure compréhension des enjeux miniers par la société civile. Reste encore à renforcer la résilience de ce chemin fébrilement tracé par quelques-uns pour qu'il devienne chaque jour plus facile pour d'autres de sortir d'un cadre de pensée purement productiviste et de requestionner leur métier et, plus généralement, le modèle de société qu'ils souhaitent promouvoir.
 

► Références

[1] Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement.
[2] Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, issue de la fusion des directions régionales de l'équipement (DRE), les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et les directions régionales de l'environnement (DIREN).
[3] Directive n° 2006/21/CE du 15/03/06 concernant la gestion des déchets de l'industrie extractive et modifiant la directive 2004/35/CE.
 

► Pour aller plus loin

- Webdocumentaire de RFI : Pollution minière en France - Scandale environnemental à la porte des Cévennes.
- Documentaire télévisé diffusé dans Pièces à conviction (France 3) le 20/01/2016 : Cévennes : révélations sur une pollution cachée.
- Inventaire des sites au titre de l’article 20 de la directive 2006/21/CE concernant la gestion des déchets de l’industrie extractive, sur le site du Ministère de l'Environnement (document mis à jour le 17/03/2017).