Exploitation minière "responsable" ? Enami-Codelco pollue les cascades de Junín

2 novembre 2016
SystExt (traduction)
Pollution des cascades « Gemelas » dans la réserve communautaire de Junín
En septembre 2016, un rapport de terrain sur les impacts des activités minières dans la Réserve Communautaire de Junín, Province de Imbabura (Équateur) a été publié par l'équipe de suivi communautaire de la qualité de l'eau de Junín et William Sacher (1). Ce document relate des faits graves de pollution associés aux travaux d'exploration pour le cuivre, menés par les entreprises minières étatiques Enami EP (Équateur) et Codelco (Chili). Publié initialement en espagnol, ce document a été traduit en français par SystExt, en collaboration avec William Sacher, afin de relayer à l'international la résistance de la communauté de Junín.

► Les publications en versions espagnole et française sont téléchargeables ci-dessous.

La Réserve Communautaire de Junín, créée à l'initiative de plusieurs villages de la vallée de l'Intag, une rivière de la province d'Imbarura en Équateur (2), est un de ces nombreux paradis terrestre dont recèle ce petit pays andin. Source d'eau et de vie, ses cascades, sa faune et sa flore font partie de la zone tampon de la réserve naturelle de Cotacachi-Cayapas, un des parcs naturels les plus importants au monde. Selon la revue états-unienne Nature, que l'on peut difficilement considérer comme un nid d'écologistes excentriques, cette zone est le foyer de nombreuses espèces endémiques et/ou en voie d'extinction et une des 25 zones les plus riches au monde en terme de biodiversité (3). En 2013, une autre revue scientifique de renom, Science, a montré que la réserve Cotacachi-Cayapas est, en terme de biodiversité et présence d’espèces en voie d'extinction, potentiellement plus importante qu'une autre réserve naturelle célèbre, le parc Yasuní (4).

Comme le révèle notre dernière visite dans la zone, ces richesses, et les territoires de l'Intag en général, sont actuellement menacés par les activités d'exploration minière du consortium formé par la Enami (Entreprise Nationale Minière de l’Équateur) et la compagnie nationale chilienne Codelco avec leur mégaprojet de mine de cuivre Llurimagua.

Une des cascades « Gemelas » (Jumelles) polluées

Les photos 1 et 2 nous montrent les cascades « Gemelas », un des lieux les plus spectaculaires de la Réserve Communautaire de Junín. Sur la photo 1, on peut apprécier l'état des cascades en février 2015, avant que la Enami-Codelco commence les travaux d'exploration. La photo 2 montre les mêmes cascades, dans leur état actuel. La cascade de droite est devenue complètement orangée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 1 : Les cascades « Gemelas » en février 2015

La couleur orangée pourrait être liée à une pollution de l'eau par un excès de sédiments argileux, dû à un déplacement massif de sols en amont de la cascade. En aval, nous constatons la pollution de tout le microbassin. Au premier plan de la photo 2, on peut voir comment l'eau de la rivière est devenue trouble.

 

 

 

 

 

 

Photo 2 : Les cascades « Gemelas » en août 2016

La photo 3 donne un aperçu de la pollution au bas de la cascade polluée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 3 : Contrôle de qualité de l'eau au bas de la cascade « Gemelas », août 2016

Il émane de cette eau une forte odeur de soufre (d' « oeuf pourri ») et l'eau a coloré toutes les roches et la végétation environnante. La pollution de ce petit affluent a entraîné une pollution résiduelle sur tout le long de la rivière Junín , qui représente une source d'eau pour le village de Junín et les communautés situées en aval. Les conséquences de ce type de pollution pourraient d'avérées dramatiques pour les écosystèmes aquatiques, les habitants qui se lavent dans cette eau et le bétail qui la boit.

Les analyses des échantillons d'eau que nous avons prélevés présentent des résultats qui peuvent nous amener à conclure qu'il y a pollution due aux matériaux en suspension (nous avons mesuré une conductivité 20 fois supérieure aux valeurs en général trouvées dans la zone). Selon les témoignages des habitants, la direction des relations communautaires de la Enami-Codalco a au contrarie affirmé, à plusieurs reprises, que leurs travaux se réalisaient en respectant les normes écologiques les plus élevées, pour ne pas impacter le tourisme dans la zone...

Destruction et pollution du bassin versant de la cascade du « Voile de la mariée »

Les photos suivantes (4, 5 et 6) montrent les autres horreurs constatées lors de notre dernière visite dans la réserve. Dans la partie haute du bassin d'une autre cascade célèbre de la réserve, la cascade du « Voile de la mariée » (El Velo de la Novia), la Enami-Codalco n'a pas vérifié la stabilité des versants sur lesquels elle est intervenue et a provoqué un glissement de terrain – probablement de centaines de tonnes de roches et de terre – qui a complètement détruit le fond de la rivière sur cette partie du bassin versant. La photo 4 montre le glissement de terrain en question.

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 4 : Vue du glissement de terrain dans le bassin du « Voile de la Mariée », avril 2016

De plus, l'effondrement de ce pan de montagne s'est produit là où se trouvait un ancien puits de foration de l'entreprise japonaise Bishimetals, qui a réalisé des travaux d'exploration dans la zone dans les années 1990. Le glissement de terrain a probablement rouvert cet ancien puits. L'eau polluée qui en surgit se mélange en continu avec les sédiments organiques déplacés.

 

 

 

 

 

 

 

Photo 5 : Pollution du bassin versant de la cascade du « Voile de la Mariée », août 2016

Le résultat est un paysage de désolation, au cœur même de la Réserve Communautaire de Junín, comme le montrent les photos 5 et 6.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 6 : Pollution du bassin versant de la cascade du « Voile de la Mariée », avril 2016

On peut voir en effet une série de couleurs vives, du jaune au marron, vraisemblablement provoquées par la pollution due aux sédiments et aux eaux pollués venant de l'ancien puits rouvert. Dans les nombreuses flaques d'eau formées en surface de l'éboulement, nous avons pu constater la présence de bulles, certainement dues aux émanations de vapeur de soufre (ce qui expliquerait l'odeur persistante sur le site). Ces photos prouvent que l'exploration minière (avant même l'exploitation des minerais) est une activité polluante, en dépit de ce qu'affirment souvent les entreprises minières et les gouvernements qui les supportent. Avec ce glissement de terrain, les diverses formes de pollution qui en résultent, la coupe des arbres et l'ouverture de chemins dans la Réserve (comme le montre le diaporama « Dragones en el Eden » disponible sur internet (5)), nous avons une sorte de modèle réduit de ce qui attend la Réserve Communautaire de Junín et tous les autres sites écologiquement sensibles d’Équateur (comme la Cordillère du Condor au sud-est du pays, elle aussi occupée par des mégaprojets miniers), si le gouvernement équatorien réussit à mettre en marche l'exploitation minière à grande échelle dans le pays.

La Réserve Communautaire de Junín : une alternative viable

Avec ces destructions, la Enami-Codalco porte atteinte au projet éco-touristique de la communauté de Junín et celles environnantes, une alternative économique viable sur un site qui bénéficie de tant de richesses naturelles. La Réserve Communautaire de Junín est une initiative locale, développée ces 20 dernières années et soutenue par les habitants et diverses organisations du bassin versant de l'Intag. Pour ces communautés paysannes et leur territoire, la Réserve représente une proposition d'activité alternative à la mine à grande échelle et aux menaces sociales et environnementales qui l'accompagnent. La Réserve couvre une superficie d'environ 1500 hectares et se trouve à environ 2000 mètres d'altitude, à la source de la rivière Junín qui fournit en eau de nombreuses communautés.

L'ouverture d'une mine à grande échelle dans cette zone signifierait la destruction d'écosystèmes uniques au monde et du mode de vie des communautés paysannes environnantes : Junín, Chagualyacu Alto, Chagualyacu Bajo, etc. Plus indirectement, cela aurait aussi des impacts sociaux et culturels dans de nombreuses communautés du bassin versant de la rivière Intag. La vallée des rivières Intag et Chagualyacu résistent pourtant depuis plus de deux décennies à la mine à grande échelle, avec succès. Dans les années 1990, puis dans les années 2000, se sont succédées la société minière japonaise Bishimetals puis la junior canadienne Ascendant Copper. Ces transnationales n'ont jamais réussi à convaincre les populations directement affectées de la viabilité d'un projet de méga-mine dans cette région forestière de l'Équateur. Au contraire, de nombreux habitants de Junín et de la vallée de l'Intag ont créé une série d'activités productives et commerciales alternatives comme l'agriculture agro-écologique (en particulier la culture et la commercialisation du café organique) et l'écotourisme communautaire. Ces activités sont génératrices de revenus substantiels et sont une réponse à l'horreur que proposent les sociétés minières avec leurs mégaprojets à ciel ouvert. Le processus de résistance des communautés de la vallée de l'Intag, basé sur la promotion de ces activités alternatives et viables est célèbre et célébré par de nombreux mouvements sociaux, organisations, militants et académiques en Amérique Latine. La Réserve et l'écotourisme communautaire, que le village de Junín a développé autour de la réserve, fait la fierté de beaucoup d'habitants des communautés environnantes. Des touristes du monde entier viennent admirer la beauté de ses cascades et connaître et apprécier des écosystèmes et paysages uniques.

Enami-Codalco : entre discours et pratique

Comme nous pouvons le constater, la Réserve Communautaire de Junín et les opportunités qu'elle représente pour les générations futures sont actuellement cruellement menacées. Depuis novembre 2011, le méga-projet minier Llurimagua est passé aux mains d'un consortium formé par l'entreprise minière d'état équatorienne, la Enami, et sa vis-à-vis la chilienne Codelco (premier producteur de cuivre au monde). Depuis avril 2015, ces deux entreprises ont repris les travaux d'exploration dans la Réserve Communautaire de Junín. Il s'agit de forages de 1000 à 1500 mètres de profondeur. A date, les entreprises ont réalisé une douzaine de ces forages et en prévoient un total de 90 sur toute la réserve.

La destruction des cascades, des écosystèmes aquatiques et la pollution ne cadrent pas avec le discours officiel de ces entreprises. Enami, tout comme Codelco déclarent officiellement mettre en œuvre des politiques environnementales de protection des écosystèmes des territoires où elles interviennent. Sur son site internet, par exemple, la Enami prétend opérer avec « les plus hauts standards en terme de qualité mais aussi de critères économiques, sociaux et environnementaux (6) » et développer « une stratégie de durabilité qui se concentre principalement sur le contrôle des impacts des opérations (7) ». Avec cette « stratégie de durabilité », la Enami prétend réduire les « impacts négatifs », et maintenir « la fonctionnalité des écosystèmes (8) ».

Sur son site internet, la Codelco, de son côté, affirme vouloir « une transformation vertueuse des territoires », « produire un meilleur pays », être une entreprise « leader en durabilité et protection environnementale (9) », et diriger une « production propre (10) » et une « gestion durable de la ressource hydrique actuelle et future (11) ».

A Junín, la réalité, la cruelle réalité du terrain, est en contradiction radicale avec ces prétentions. En plus des diverses formes de pollution que nous montrent les photos qui accompagnent ce texte, nous avons récolté les témoignages de plusieurs employés qui se plaignent de conditions de travail très exigeantes et précaires. Tout cela montre une fois de plus, comment les discours autour de la « durabilité » et de la « responsabilité sociale des entreprises », sont des trompe-l'œil qui cachent l'indicible : l'horreur de la destruction des territoires, des alternatives réelles, des espèces et d'écosystèmes uniques au monde.

Réfléchissons un peu : est-ce vraiment ce que nous souhaitons en Équateur ?

Au niveau mondial, le caractère destructeur de l'exploitation minière à grande échelle est largement et régulièrement documenté par de nombreuses publications académiques, des rapports parlementaires, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, la presse nationale et internationale, des livres, documentaires et témoignages divers, etc. L'histoire récente montre que ce n'est pas une question de maîtrise supposément différenciée d'un pays à l'autre d'une technologie -présentée comme « de pointe »- ou encore d'un éventuel respect, variable d'un pays à l'autre, des normes en vigueur. En 2014 et 2015, tant le Brésil que le Canada ont du faire face à des désastres écologiques causés par des ruptures de barrages contenant des millions de mètres cubes de résidus miniers polluants.

En Équateur, 40 ans d'exploitation pétrolière en Amazonie devraient pourtant nous servir de leçon. Dans ce petit pays d'Amérique Latine, il n'a jamais été question d'exploitation minière à grand échelle, jusqu'à ce que de premiers travaux d'exploration soient réalisés dans les années 1980 et 1990. Les éventuels gisements ont été identifiés dans les parties hautes des bassins versants des rivières et fleuves qui descendent des Cordillères andines, ce qui met sérieusement en péril les sources d'eau des populations et écosystèmes dans les montagnes, mais aussi vers l'Amazonie à l'est et la côte pacifique à l'ouest. La faiblesse des institutions publiques et le manque d'indépendance de l’État face aux capitaux miniers transnationaux chinois, canadiens et chiliens présents dans le pays, l'absence de données historiques hydrométéorologiques et sismiques dans les zones des méga-projets miniers en cours et le caractère fragile des territoires où s'installent ces méga-projets, mèneront irrémédiablement à la pollution à grande échelle de nos ressources hydriques et la destruction de notre patrimoine écologique. Par ailleurs, les futures mines à grande échelle présentent aussi un haut risque de destruction du patrimoine culturel de nos peuples et de leurs différentes formes d'économie et d'organisation sociale. La pollution que nous dénonçons aujourd'hui à Junín n'est qu'un petit, et terrifiant, avant-goût de ce qui arriverait avec la mise en œuvre de l'exploitation minière à grande échelle généralisée à l'échelle de l'Équateur tout entier.

Si nous prenons en compte que :
- l'installation de la mine à grande échelle implique aussi des situations dramatiques comme les expropriations et dépossessions récemment perpétrées dans la Cordillère du Condor (Tundayme et Nankintz), contre des dizaines de familles de paysans et d'indigènes, avec l'appui inconditionnel de l’État équatorien ;
- de plus, au niveau économique, il y a peu d'avantages à augmenter la dépendance de l'économie du pays aux matières premières dans un modèle qui assure des bénéfices pour les capitaux internationaux et des miettes pour les peuples... ;

Pourquoi continuer à douter ? Tout simplement, ce n'est pas ce que nous voulons pour l’Équateur.

► Sources et références

(1) Avec la participation de Michelle Báez
(2) Junín dépend de la paroisse de Garcia Moreno dans le canton de Cotacachi
(3) Myers, N., R. A. Mittermeier, C. G. Mittermeier, G. A. B. da Fonseca y J. Kent, “Biodiversity hotspots for conservation priorities”, Nature, (2000)
(4) Le Saout, S., et al., "Protected areas and effective biodiversity conservation", Science, (2013)
(5) Document disponible au lien suivant
(6) Section "Información General" sur le site de Enami EP
(7) Rapport “Informe de Gestión”, 2016, sur le site de Enami EP, p.1.
(8) Rapport “Plan de Negocios”, 2016, sur le site de Enami EP
(9) Section "Sustentabilidad" sur le site de Codelco
(10) Document "Política de desarrollo sustentable" sur le site de Coldeco
(11) Rapport "Estándares Ambientales y Comunitarios" sur le site de Colelco