Analyse | Des forêts de protection... qui ne seront plus protégées ?

20 février 2017
SystExt
Forêt de la Coubre (Charente Maritime), classée forêt littorale de protection | William Scot - 2006 - cc by-sa 2.5
Un projet de décret publié par le Ministère de l'Agriculture le 30 janvier dernier remet en cause le statut des forêts de protection pour y permettre l'exploitation minérale. En cette période chargée pour l'actualité minière nationale, SystExt se penche sur les tenants et aboutissants d'un tel décret.

Que sont les forêts de protection ?

Les forêts classées comme forêts de protection bénéficient d'un statut juridique et administratif spécial, crée en 1922, qui garantit la conservation des territoires forestiers. Il existe quatre types de forêts de protection : les forêts de montagne, les forêts littorales, les forêts alluviales (constituées en quasi-totalité de la forêt rhénane) et les forêts périurbaines. Selon l'article L411-1 du code forestier :

Peuvent être classés comme forêts de protection, pour cause d'utilité publique :
- Les forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables ;
- Les bois et forêts, quels que soient leurs propriétaires, situés à la périphérie des grandes agglomérations, ainsi que dans les zones où leur maintien s'impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population.

Cette appellation couvre aujourd'hui 154 000 hectares de massifs boisés métropolitains, dont 61 000 hectares en Ile-de-France (Fontainebleau, Rambouillet, Sénart, Arc boisé et Fausses-Reposes). Il s'agit de la protection foncière la plus stricte applicable aux forêts en France, avec un classement à l'échelle de la parcelle cadastrale validé par le Conseil d'Etat.

Quelle est la teneur du décret ?

Sur le site du Ministère de l'Agriculture, on explique que : « Ce projet de décret établit un régime spécial, à l’instar de ce qui est prévu pour l’eau. Il permet, sur autorisation du préfet, dans le périmètre d'une forêt de protection, de mener des travaux :
- de fouilles et sondages archéologiques,
- de recherche ou d'exploitation souterraine de ressources minérales,
dans le respect de la conservation et de la protection des boisements.
 »

Les porteurs de projet devront fournir un certain nombre d'éléments dans leur demande d'autorisation. Entre autres :
- Une analyse de la compatibilité de l’opération avec la destination forestière des lieux ainsi que celle des modalités de reconstitution de l'état boisé au terme de l'opération,
- Un descriptif des conditions de remise en état des lieux au terme des travaux.

Pour l'exploitation minérale des sols, il devra ajouter :
- Une description des incidences prévisibles des infrastructures projetées, y compris celles des voies et réseaux nécessaires, sur les boisements existants, sur la faune et la flore environnante, sur l’érosion des sols et sur les risques naturels à l’intérieur du périmètre de protection,
- Une description des effets à terme de l’exploitation souterraine des ressources minérales ainsi que des équipements et annexes indispensables à la sécurité de l'exploitation et leurs accès sur la préservation des écosystèmes forestiers et sur la stabilité des sols dans le périmètre de protection.

Les travaux seront autorisés lorsqu'ils bénéficient, dans le cas d’une mine, de l’autorisation d’ouverture de travaux de recherches ou d’exploitation prévue par l’article L. 162-3 du code minier, dans le cas d’une carrière, de l’autorisation prévue par l’article R. 512-28 du code de l’environnement. Autrement dit, la législation s'appliquera dans les forêts de protection comme sur le reste du territoire national.

Il n'y aura donc plus de régime de protection. En effet, le préfet sera seul décisionnaire de l'attribution de l'autorisation, en se basant sur le descriptif des travaux et de leurs impacts, fournis par le futur exploitant. Il devra s'assurer, selon les dits documents, que les travaux : « ne modifient pas fondamentalement la destination forestière des terrains », « ne soient pas susceptibles de nuire à la conservation de l’écosystème forestier ou à la stabilité des sols dans le périmètre de protection » et que sera « limitée le plus possible l’occupation des parcelles forestières classées ».

Les termes « être susceptible de », « limiter le plus possible », « ne pas modifier fondamentalement », sont bien flous pour assurer la préservation de forêts jugée d' « utilité publique ».

Pourquoi ce décret pose question ?

Tout d'abord, il existe dans la loi sur la biodiversité d’août 2016, le principe de non-régression selon lequel « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Toute personne qui a déjà approché une mine ou une carrière sait qu'elle impacte nécessairement les écosystèmes et la stabilité des sols. Or, nous sommes face à un décret qui permet l'exploitation des sols dans des forêts bénéficiant depuis près d'un siècle de la protection foncière la plus stricte applicable aux forêts en France. Et cela, non pour leur beauté ou leur biodiversité, mais pour leur utilité publique : parce qu'elles ont été « reconnues nécessaires au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables », ou encore parce que « leur maintien s'impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population ».

Il est objectivement difficile de considérer que les risques liés à la pollution ou aux inondations ont diminué ces 95 dernières années en France au point que l'on puisse se permettre de vider de son contenu le statut des forêts de protection. Les inondations qui se multiplient sur tout le territoire tout comme les indices de pollution qui battent tous les records indiquent plutôt le contraire. Or, qui paiera pour les réparations dues à ces catastrophes « naturelles » et pour les soins aux personnes ? Les contribuables vraisemblablement. Qui gagnera à l'exploitation de zones jusqu'ici protégées ? Les mêmes entreprises que l'on retrouve d'ores et déjà sur tout le territoire.

Alors pourquoi ouvrir ces forêts de protection à une industrie connue pour ses impacts majeurs en termes de déforestation comme en termes de stabilité des sols ?

Le Ministère de l'Agriculture s'explique :

Cette modification du code forestier vise à créer une base juridique pour traiter certaines situations actuellement rencontrées dans les forêts périurbaines, objet de nombreuses attentes sociales mais dont le classement en forêt de protection ne peut être prononcé à ce jour, faute de l’existence d’un régime spécial permettant de réaliser des travaux de fouilles archéologiques ou d’extraction de matériau au sein du massif classé.

Le but serait donc, non pas d'ouvrir des sites protégés à l'exploitation, mais de faire bénéficier des lieux jusqu'alors exploités de ce statut de protection. Cette explication n'est pas satisfaisante, puisqu'il est tout à fait possible de faire du cas par cas ou d'attribuer un statut plus flexible, sans ouvrir à l'exploitation les forêts de protection.

On ne peut que se questionner lorsque l'on constate que le permis de recherche de Couflens, en Ariège, attribué à Variscan Mines, se situe à proximité d’une forêt de protection de 1000 hectares. Aucune carte exhaustive des forêts de protection n’existe à ce jour, le seul document public est un fichier excel de 2011 particulièrement difficile à exploiter. Néanmoins, ISF SystExt s’est essayé à l’exercice périlleux de recoupement des informations et le résultat est disponible sur notre outil cartographique Panoramine. Le seul permis extractif concerné est ce permis minier situé sur l’ancienne mine de tungstène de Salau récemment accordé à la junior Variscan, bien que les limites réelles de la zone protégées nous soient inconnues (sur Panoramine nous avons localisé les forêts et massifs concernés sans pouvoir tracer précisément les zones sous protection).

Dès la sortie du décret, Michaël Weber, président de la Fédération des parcs naturels régionaux de France, signale qu' « une brèche béante s’ouvre dans un des régimes les plus protecteurs de France ». La Fédération des communes forestières (FNCOFOR) abonde en ce sens, bien qu'elle se dise favorable à des fouilles archéologiques. Elle souligne qu’elle n’a pas été consultée sur ce projet de décret.

L'ONG Sauvons la forêt a quant à elle lancé une pétition qui a déjà rassemblé plus de 30 000 signatures, destinée à mettre en évidence la ferme opposition des citoyens à ce projet, avant la fin de la consultation publique ce 20 février et l'entrée en vigueur du décret, prévue le 1er mars. Face aux nombreuses réactions inquiètes vis-à-vis du projet de décret sorti en toute discrétion il y a moins de 3 semaines, le Ministère de l'Agriculture a organisé une réunion le 16 février dernier avec les représentants des forestiers et des associations écologistes. Toutes les parties prenantes se seraient mises d'accord sur la nécessité de revenir sur le décret.

Au terme de cette réunion, de fortes demandes d’évolution du projet de texte ont été exprimées notamment sur les 3 points suivants :
- possibilité d’exclure du champ les forêts ayant fait l’objet d’un classement avant la parution du texte ;
- renforcement du processus décisionnel d’autorisation des travaux ;
- restriction des substances minérales autorisées à entrer dans le champ du régime spécial.
Un groupe de travail composé de tous les participants de la réunion sera réuni sous 10 jours pour élaborer une nouvelle proposition de texte permettant ainsi de prendre pleinement en considération les remarques des partenaires exprimées dans le cadre de la consultation du public
.

pouvait-on lire sur le site du Ministère de l'Agriculture le 17 février dernier.

Nous espérons que ce groupe de travail permettra un dialogue plus ouvert et constructif que celui autour de l'initiative Mine Responsable, avec une évolution du texte en conséquence. Au vue de l'actualité minière française, on ne peut que se questionner sur cette libéralisation des régimes de forêts de protection. En effet, alors que la réforme du code minier tant attendue laisse un goût bien amer, ne respectant pas même le cadre réglementaire européen, les permis d'exploration et d'exploitation sont délivrés à la chaîne sur tout le territoire français...

► Références

• Projet de décret complet disponible au lien suivant
• Page de la consultation publique sur le site de Vie publique et sur le site du Ministère de l'Agriculture
• Des mines, carrières, fouilles archéologiques, dans les forêts de protection ? (Projet de décret), 09/02/2017, Forestopic (article disponible au lien suivant)
• Fiche descriptive des forêts de protection sur le site de Forgeco/Cemagref
• En France, des forêts classées sous la menace d’une exploitation minière, 14/02/2017, Le Monde (article disponible au lien suivant)
• Projet de décret instituant un régime spécial au sein des forêts de protection, 17/02/2017, Ministère de l'Agriculture (article disponible au lien suivant)