À Saint-Félix-de-Pallières, des risques connus mais des populations laissées-pour-compte

15 février 2022
SystExt
Ruisseau en pied des dépôts de stériles miniers à la mine Joseph | SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0
Depuis juin 2020, SystExt mène un projet d’étude qui souhaite mettre en exergue les réalités de l’après-mine en France métropolitaine. Celui-ci prévoit la visite d’une vingtaine d’anciens sites miniers dans une dizaine de départements, afin de rencontrer des populations affectées ainsi que les autres acteurs concernés par les pollutions minières. SystExt revient sur ces territoires miniers au travers de huit reportages de terrain, étayés de recherches bibliographiques. Premier volet de la série : Saint-Félix-de-Pallières dans le Gard, ancienne mine de plomb-zinc.

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1. Une région marquée par l’activité minière et métallurgique

Le Gard et plus particulièrement le bassin alésien sont connus pour leurs mines de charbon, mais également pour leurs mines métalliques. Géologiquement, la "Bordure sous cévenole" est une vaste zone minéralisée qui s’étend de l’ancienne mine de plomb-zinc des Malines à celle de pyrite de Saint-Florent. Dans le cadre de l'inventaire des déchets miniers en France métropolitaine réalisé en 2012-2013, GEODERIS (i) a proposé un classement des secteurs miniers selon les risques sanitaires et environnementaux potentiels qu’ils pouvaient représenter (de A à E, du risque le plus faible au plus élevé). Le secteur dit de "La Croix-de-Pallières" (incluant les mines de Saint-Félix-de-Pallières) a été classé en D [1].

Secteurs miniers identifiés en région Languedoc-Roussillon par GEODERIS et classement associé | Création : SystExt · Octobre 2021 , d’après ([1], p.17)

2. Des mines de plomb-zinc d’importance nationale

Si l’exploitation minière sur le secteur remonte à l’époque romaine, son développement industriel a débuté en 1854 et s’est prolongé jusqu’en 1971, avec deux principaux pics d’activité. Le premier a eu lieu à la fin du XIXème siècle ; et le second, entre 1948 et 1970, pendant lequel a été réalisée la grande majorité de la production. En 1953, le secteur était d’ailleurs le troisième plus grand site de plomb-zinc en France. Sur cette période, 4 concessions ont été octroyées, regroupant 7 sites d’exploitation et 4 sites de traitement du minerai. À la fermeture des mines, les installations de surface ont été démantelées et les ouvrages débouchant au jour ont été mis en sécurité. Cependant de nombreux dépôts de déchets miniers ont été abandonnés sur place.

Localisation des concessions minières, des sites d’exploitation ainsi que des sites de traitement du minerai  | Création : SystExt · Octobre 2021 ; Fond cartographique : ® IGN. Cette carte est issue d’une transposition manuelle, les contours et la position des objets sont donc soumis à imprécision.

3. Une pollution étendue des sols et des risques sanitaires importants

Sur les sites les plus anciens, tels que la mine de Gravouillère ou celle de Curnier, des traces de travaux d’exploitation superficiels, et des dépôts de stériles miniers sont présents. Les concentrations en métaux et métalloïdes dans les sols sont particulièrement élevées (ii) et cette pollution s’étend sur de très grandes surfaces [2]. La problématique majeure du secteur est la proximité de ces zones polluées avec des zones habitées. En 2019, GEODERIS a donc recommandé de réduire voire de supprimer l’exposition des populations en de nombreux endroits du secteur [2]. Il a notamment été préconisé de décaisser certaines zones polluées et de les recouvrir par des terres "saines", ainsi que d’éviter certains usages (fréquentation, mise en culture, terrassement, etc.) [2].

Zones exploitées et dépôts de stériles miniers, mine Curnier | SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

4. La mine Joseph, à l’origine d’une grave pollution des eaux

La mine Joseph a été exploitée de 1858 à 1955. D’importants dépôts de stériles ont été abandonnés sur une surface d’un hectare et présentent des concentrations en métaux et métalloïdes du même ordre de grandeur que celles décrites précédemment [2]. L’émergence d’un ruisseau en pied des dépôts y est particulièrement problématique. L'eau, très acide, présente des concentrations élevées en métaux et métalloïdes (iii) et est à l'origine d'une pollution importante du ruisseau du Paleyrolle, situé en aval. Plusieurs autres émergences minières du secteur sont concernées par des pollutions du même ordre, par exemple celles du Valat du Serre, de Gravouillère et du Puits Pastré [2].

Ruisseau en pied des dépôts de stériles miniers à la mine Joseph | SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

5. Un relogement à l’amiable

Sur le site de la laverie des Autiés, d’importantes quantités de résidus miniers subsistent et présentent les concentrations en métaux et métalloïdes parmi les plus élevées du secteur [2]. Malgré des études sanitaires alertant sur la gravité de la contamination dans cette zone en 2013 [3], rien n’a été fait par les services de l’État avant octobre 2019. Après de longues années de bataille par les propriétaires, leur expropriation a finalement été entendue à l’amiable, sous la forme d’une convention de rachat entre la mairie de Tornac, l’ADEME et les propriétaires [4]. Cette intervention est unique et c’est d’ailleurs la seule de ce type réalisée sur le secteur. De plus, son caractère confidentiel limite la reproductibilité de ce type de prise en charge, alors même que cela serait nécessaire pour de nombreux autres riverains, selon SystExt.

Ruisseau de Paleyrolle, commune de Saint-Félix-de-Pallières | E. Feyeux pour SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

6. La mine de Pallières, une exploitation contemporaine aux impacts majeurs

La mine de Pallières a été exploitée entre 1848 et 1971. Cette mine est à l'origine de plus des trois quarts de la production du secteur, et donc nécessairement du plus gros volume de déchets miniers générés. Si les types d’impacts sont identiques à ceux décrits précédemment, leur intensité et leur étendue sont décuplées. La surface totale des dépôts est notamment estimée à plus de 10 hectares [2]. De plus, lors de sa visite de terrain, SystExt a pu constater la présence de plusieurs résurgences minières acides sur la carreau de la mine. Comme dans le cas de la laverie des Autiés (voir §5), la nécessité de supprimer l’exposition des populations est également connue depuis 2013 [3] et a été réaffirmée par GEODERIS en 2019 [3]. C’est d'ailleurs l'un des rares lieux où GEODERIS recommande une interdiction d'accès ou la réhabilitation complète préalable à un usage d'habitation [2].

Résurgence minière sur la carreau de la mine de Pallières | E. Feyeux pour SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

7. Sous-estimation des risques sanitaires et environnementaux associés à la digue minière de Pallières

À la fermeture de la mine de Pallières, entre 1994 et 1996, la digue minière, qui contient un million de tonnes de résidus, a été reprofilée, recouverte d’une couche argileuse puis de 30 à 50 cm de terre végétale. Malgré ces travaux, les riverains rencontrés ont témoigné des importants envols des poussières qu'ils ont observés dans la vallée. Plus préoccupant encore, les habitants n’ont jamais été avertis des risques associés à la fréquentation de la digue, ni par les services de l’État, ni par l’ancien exploitant. L’un des riverains rencontré a expliqué à SystExt qu’il avait demandé s’il pouvait emmener des enfants de colonies de vacances jouer sur la digue, et qu’il avait été autorisé à le faire, sans aucune mise en garde. Lors de la visite de SystExt en septembre 2020, de nouveaux travaux de réhabilitation étaient en cours de réalisation.

Digue de résidus miniers de la mine de Pallières en 1982 | © Michel Bourgeat pour ADAMvm · Source : www.adamvm.fr

8. Des études et procédures en rafale

Depuis 2008, de très nombreuses études environnementales, sanitaires et épidémiologiques, ont été conduites sur le secteur et les acteurs locaux ont multiplié les procédures et démarches pour que les risques soient gérés. Les principaux organismes publics s'étant investis sur la question sont : l'Agence régionale de santé (ARS), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), l'ADEME, GEODERIS, l'INERIS, Santé publique France, et la Haute Autorité de Santé (HAS). Toutes les études ont conclu à la gravité des risques sanitaires et environnementaux sur le secteur. Plus préoccupant encore, les résultats d’une étude épidémiologique publiés en 2018 confirment la surimprégnation des populations riveraines : "Près d’un quart des participants présentaient une surimprégnation en arsenic par rapport aux données en population générale et 12 % une surimprégnation en cadmium" ([5], p.1).

Digue de résidus miniers de la mine de Pallières et drains de gestion des eaux | E. Feyeux pour SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

9. Une gestion très insuffisante des risques

Malgré ces nombreuses études, SystExt considère que les risques sanitaires sont très insuffisamment gérés sur tout le secteur. Seuls des mesures d’hygiène ont été recommandées aux riverains, et des panneaux de signalisation ont étés installés au niveau des zones les plus à risque, afin de réduire leur exposition aux poussières et aux sols contaminés. À une exception près (voir §5), aucune mesure n’a été prise pour reloger les habitants qui vivent directement sur les zones polluées, comme le souligne SystExt dans un entretien pour Midi Libre le 15/09/2020 : "Ce qui est étonnant, dans ce dossier, c’est qu’il a été pris en charge par les services de l’État, avec notamment un très bon rapport de Géodéris en 2019, une mobilisation réelle des services (ARS, Santé publique France, Anses...) Mais en parallèle la volonté d’agir est nulle. On est en train d’essayer de convaincre les gens qu’il ne faut rien faire. (...) On les culpabilise. On les pousse à se lancer dans des procédures judiciaires éreintantes." [6]

Panneau de signalisation dans une zone de promenade, mine de Pallières | SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

10. Des plaintes au pénal classées sans suite

En 2016, 45 plaintes ont été déposées au pénal, notamment pour "mise en danger de la vie d’autrui". Le tribunal d’Aix en Provence les a classées sans suite en juillet 2020, considérant qu'il n'est pas possible de différencier l’origine anthropique de l’origine naturelle des pollutions [7]. Selon SystExt, cette décision résulte d’une mauvaise interprétation des rapports d’expertise. De plus, l'association considère que ce jugement freine la gestion correcte des problématiques sanitaires du secteur. Enfin, SystExt considère qu'il adresse un message inquiétant aux populations, luttant légitimement pour la reconnaissance de leur droit à vivre dans un environnement sain. Comme l'a souligné François Simon de l’association ADAMvm le 12/09/2020 : "Après une plainte au pénal de 4 ans et demi, finalement on se retrouve avec un classement sans suite parce que le procureur a décidé [...] que cette pollution n’est pas plus d’origine humaine que d’origine naturelle". [8]

Visite de la digue de la mine de Pallières par les associations ADAMvm et SystExt | SystExt · Septembre 2020 · cc by-sa-nc 3.0

► Notes

(i) GEODERIS est un groupement d’intérêt public, expert après-mine de l’État français.
(ii) Les concentrations dans les sols peuvent atteindre 5% pour le plomb et 0,3% pour l’arsenic sur une surface cumulée de presque 15 hectares [2].
(iii) L'eau présente en effet un pH compris entre 2 et 3.5, ainsi que des concentrations pouvant atteindre 42 μg/l pour le plomb et 60 μg/l pour le cadmium [2]. Ces dernières valeurs peuvent être comparées aux normes de qualité environnementale, pour lesquelles les concentrations maximales admissibles sont de 14 µg/l pour le plomb et de 1.5 µg/l pour le cadmium.

► On en parle dans la presse...

• Alazet, C. (13/09/2020). Pollution des mines gardoises : des ingénieurs au chevet des habitants de Saint-Félix-de-Pallières. France 3 Occitanie. Lien.
• Boudet, A. (15/09/2020). Pollution des anciennes mines de Saint-Félix dans le Gard : "Il faut absolument exproprier". Midi libre. Lien.
• Desmeures, F. (21/01/2021). Pollution des mines dans les Cévennes : des ingénieurs étudient les ravages de l'après mine. Midi libre. Lien.
• Lefèvre, S. & Richard, E. (10/01/2022). Cancers et métaux lourds : une fois la mine fermée, la vie empoisonnée. Reporterre. Lien.

► Bibliographie citée

[1] GEODERIS. (2013). Inventaire des dépôts issus des exploitations minières selon l’article 20 de la Directive 2006/21/CE - Monographie sur la région Languedoc-Roussillon - Volet "métallique". Rapport N2012/042DE-12NAT2121. Lien*.
[2] GEODERIS. (2019). Étude sanitaire et environnementale sur les anciennes exploitations minières de La-Croix-de-Pallières et de Saint-Sébastien-d’Aigrefeuille (30). Rapport 2019/086DE-19LRO24040. Lien.
[3] ICF Environnement & BRGM. (2013). Diagnostic environnemental - Interprétation de l’état des milieux (IEM) - Anciens sites miniers sur les communes de Saint-Félix-de-Pallières et Thoiras (30). Rapport n°AIX/12/085/IR-V1. Lien.
[4] Mairie de Tornac. (2019). Compte rendu de la réunion du conseil municipal du 22 octobre 2019. Lien.
[5] Santé publique France. (2018). Étude d’imprégnation autour d’anciens sites miniers dans le Gard et échanges avec les parties prenantes : analyse et propositions. Lien.
[6] Boudet, A. (2020). Pollution des anciennes mines de Saint-Félix dans le Gard : "Il faut absolument exproprier". Midi Libre.
[7] Cour d’appel d’Aix-en-Provence. (2020). Classement sans suite du 27 juillet 2020. Référence 16.265/175. Lien.
[8] Alazet, C. (2020). Pollution des mines gardoises : des ingénieurs au chevet des habitants de Saint-Félix-de-Pallières. France 3 Occitanie.

* Ce rapport, portant sur les résultats de l'inventaire des dépôts de déchets miniers sur la région (auquel ont été jointes les fiches détaillées par dépôt inventorié), a été transmis le 02/06/2020 à SystExt et ses partenaires par GEODERIS. Ceci fait suite à un courrier initial de E. Feyeux à GEODERIS en date du 28/01/2020, à une saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 04/03/2020 ainsi qu'à un courrier de la CADA à GEODERIS en date du 19/05/2020.