Spéculation et exploitation minière : histoire de la vallée d’Orle

15 mars 2022
SystExt
Localisation de la concession d’Orle et des mines de Fourcaye | SystExt · Janvier 2022 · cc by-sa-nc 3.0 fr ; Fond cartographique : E.Gaba · Wikimedia Commons : Sting · cc by-sa 3.0 fr
Depuis juin 2020, SystExt mène un projet d’étude qui souhaite mettre en exergue les réalités de l’après-mine en France métropolitaine. Celui-ci prévoit la visite d’une vingtaine d’anciens sites miniers dans une dizaine de départements, afin de rencontrer des populations affectées ainsi que les autres acteurs concernés par les pollutions minières. SystExt revient sur ces territoires miniers au travers de huit reportages de terrain, étayés de recherches bibliographiques. Septième volet de la série : La vallée d'Orle dans l'Ariège, anciennes mines de plomb-zinc.

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1. Des exploitations très brèves sur fond de spéculation minière

La mine de Bularic, dans la concession d'Orle (localisée sur le versant français), ainsi que la mine de Fourcaye (localisée sur le versant espagnol) se caractérisent par des durées d’exploitation très courtes (i) et des investissements conséquents (ii) [1] [2]. La plupart des autres indices découverts (iii) n'ont fait l'objet que de travaux d'exploration [1]. Avant la mise en exploitation, très peu de recherches minières ont été effectuées ; les gisements étaient donc mal connus [1] [2]. Malgré cela, les installations de transports du minerai étaient considérables. Ce sont en effet 15 kilomètres de voies ferrées et câblées (iv) [1] qui ont été mis en fonctionnement à haute altitude, pour acheminer le minerai par la vallée d’Orle jusqu’à la laverie de Lascoux [1]. Au total, les quantités de minerai transportées ont été très faibles, les gisements s'étant avérés rapidement peu rentables (v) [1] [2]. Ces mines illustrent le caractère hautement spéculatif de l’exploitation minière qui caractérisait certains sites français à cette époque.


Vestiges du site de Fourcaye. Sont visibles les différentes voies de chemin de fer permettant de transporter les stériles miniers et le minerai en sortie de travaux miniers souterrains | SystExt · Juillet 2021 · cc by-sa-nc 3.0

2. La vallée d’Orle, un gouffre financier

Les mines de Fourcaye et de la vallée d’Orle ont plus été des gouffres financiers [3] que des moteurs pour le dynamisme de la région. Après les effets d’annonce et les coûteux mais démesurés investissements du début du siècle dernier, se sont succédés les coûteux mais disproportionnés travaux de mise en sécurité du début de ce siècle, réalisés après la renonciation de la concession d'Orle (vi) [1]. En effet, d’importants moyens logistiques et financiers ont été engagés au regard des difficultés d'accès et de la petite taille des travaux miniers souterrains. De plus, le seul site minier du secteur qui aurait nécessité une mise en sécurité du fait de sa proximité avec un sentier de grande randonnée transfrontalier, Fourcaye, est localisé en Espagne et n’a fait l’objet d’aucun travaux (vii) [1]. Certaines de ces dépenses auraient été plus profitables à la réhabilitation de la zone du Bocard d’Orle, qui à l’origine de risques sanitaires et environnementaux avérés [1].


Extrait du journal L’Écho des mines et de la métallurgie, édition du 09 mars 1908  | Source : gallica.bnf.fr/BnF

3. Des vestiges métalliques à haute valeur culturelle

De nombreux vestiges miniers demeurent de part et d’autre de la frontière franco-espagnole. Des brochures touristiques présentent ce patrimoine, et des albums délivrent des informations sur cette page d'histoire à la fois sur les plans techniques, économiques et humains [4] [5] [6]. Tous rendent hommages aux mineurs, bien souvent des agriculteurs venus chercher à la mine un complément de revenu par la conduite d'un travail difficile et dangereux. Des effondrements pouvaient être à l'origine de blessures graves, voire de décès (viii). Ces vestiges sont devenus les derniers témoins du passé minier et sont qualifiés de "modestes monuments aux morts" [6]. Lors de la mise en sécurité du site de Bularic, la DRAC (ix) a tenu à ce qu'ils soient préservés [1].


Vestiges de la station de téléphérique du port d’Orle | F. Talieu pour SystExt · Juillet 2021 · cc by-sa-nc 3.0

4. Une part de l'histoire à ne pas oublier

À quelques kilomètres à l'ouest, un projet de musée initié en 1992 par des élus locaux et la DRAC n’a finalement jamais été réalisé. Des citoyens ont confié à SystExt ne pas comprendre pourquoi chez eux, contrairement à ailleurs, rien n'a été fait pour exploiter ce qu'ils considèrent comme un potentiel touristique. Selon eux, les retombées financières auraient pu contribuer à réhabiliter les parcelles contaminées par les activités minières. Un historien rencontré par SystExt a ainsi rappelé avec fierté : "On n’est pas maudit parce qu’un jour on a touché à cela". Le passé industriel minier a laissé une empreinte considérée comme positive sur le territoire, car marquée par une démographie et un niveau d'emploi bien plus haut qu'aujourd'hui. Au contraire, les pollutions héritées de ce passé, quand elles sont connues, ne sont pas perçues comme problématiques.


J-C. Bareille, entretien avec SystExt à Sentein | B. Bergnes pour SystExt · Juillet 2021 · cc by-sa-nc 3.0

5. Le bocard d'Orle, une usine pour concentrer le minerai

À la sortie de la vallée d'Orle, une laverie a été construite en 1900 au hameau de Lascoux au pied de la rivière du Lez et a fonctionné jusqu'à la première guerre mondiale (x) [1]. Celle-ci a notamment servi à concentrer les minerais issus de la concession d'Orle et des mines de Fourcaye [1]. Alimentée en roches d'une taille d'une dizaine de centimètres qui contenaient en moyenne 10 % de sphalérite (xi), l'usine produisait après traitement gravimétrique [1] un concentré marchand composé d'environ 50 % de ce minéral, d'un côté, et des résidus de traitement, de l'autre. La quantité totale de minerai traitée par la laverie est estimée à seulement plusieurs centaines de tonnes [1].


Laverie de Lascoux vers 1900 | J-P. Fauré (1850-1915)

6. La production majeure de la laverie : les déchets miniers

De cette quantité de roches, l'usine a ainsi généré quelques 80 % de résidus miniers, soit plusieurs centaines de tonnes. Ces déchets contiennent une concentration importante en zinc, mais aussi en d'autres substances, certaines toxiques, telle que le plomb. Ils ont été déversés en tas en contrebas et à quelques dizaines de mètres de l'usine, jusqu'au bord du Lez [1]. Ils ont très probablement été emportés vers l'aval à cause des débordements de cette rivière, en particulier lors d'épisodes de crues torrentielles.


Vue aérienne de la zone du bocard d’Orle en 1942 pointée sur le rapport d’étude GEODERIS | E. Feyeux pour SystExt · Juillet 2021 · cc by-sa-nc 3.0

7. Une exploitation brève mais des risques persistants

À la suite d'un inventaire des déchets des industries extractives réalisé au début des années 2010 [7], l’État a estimé que la situation du secteur incluant les titres miniers du bassin versant du Lez (xii) était suffisamment préoccupante pour y diligenter une étude sanitaire et environnementale. Après 2 ans de recherches, le rapport rendu en 2015 a démontré la présence de substances polluantes dans de nombreuses zones, en lien direct avec les activités d'exploitation et de traitement du minerai [1]. À Lascoux précisément, plusieurs parcelles font l'objet de recommandations sanitaires visant à supprimer ou à limiter l'exposition à ces substances dangereuses pour la santé humaine [1]. L'activité minière d'Orle, bien que modeste au regard d'autres sites miniers proches, a généré des conséquences que le siècle qui s'est écoulé depuis n'a pas pu estomper.


Localisation des prélèvements réalisés en 2013 par GEODERIS, de sols (rouge) et de légumes (vert). Ils ont permis de caractériser les parcelles qui présentent soit une source de pollution, soit des sols pollués, soit une incompatibilité d'usages | Création : SystExt · Février 2022 · cc by-sa-nc 3.0 ; Fond cartographique : OpenStreetMap · cc-by-sa 2.0. Cette carte est issue d’une transposition manuelle d'après [1]. Les contours et la position des objets sont donc soumis à imprécision

8. Une méconnaissance des zones pollués et des risques associés

À Bonac-Irazein, un exemplaire de cette étude est disponible à la mairie. Pour autant, les risques sanitaires identifiés ne semblent pas tous connus. Si des riverains se souviennent des prélèvements de légumes effectués chez eux, ils ont fait état auprès de SystExt de l'absence de retour d'informations, tout en soulignant que les générations qui se sont succédées sur le territoire ont toujours bien vécu. Les élus connaissent l'existence de mesures liées aux installations publiques de la commune voisine de Sentein, notamment les travaux de mise en sécurité réalisés par l’État au centre de loisirs et à l'école primaire [8] [9]. Mais les préconisations qui concernent des parcelles privées ne sont manifestement pas connues précisément, alors même que l'étude sanitaire y a identifié des problématiques identiques. SystExt constate une différence manifeste de prise en compte des problématiques entre les domaines privé et public.


P. Anglade, entretien avec SystExt à la mairie de Bonac-Irazein | A. Calmet pour SystExt · Juillet 2021 · cc by-sa-nc 3.0

9. Le changement d'usage, une problématique sous-estimée

Une fois les activités de traitement du minerai abandonnées dans les années 1910, le site de la laverie est devenu une scierie, qui fut détruite par un incendie dans les années 1930. Dans les années 1950, une colonie de vacances y a été aménagée. Ces parcelles accueillent aujourd'hui une pâture pour chevaux en contrebas, tandis que les anciens bureaux situés sur la plateforme supérieure ont été aménagés en habitation, en vente lors du passage de SystExt. Alors que l'étude sanitaire préconise de supprimer les risques d'expositions aux substances toxiques sur la parcelle considérée, aucun aménagement ne semble avoir été réalisé. Une autre parcelle, voisine d'un terrain où ont été identifiés des risques, n'a fait l'objet d'aucune investigation. Or, celle-ci a changé d'usage en devenant depuis un jardin potager. SystExt considère que ces situations mettent en lumière des carences dans la définition et le suivi des risques sanitaires.


Réaménagements successifs du site de la laverie de Lascoux. En haut à gauche : anciens bureaux transformés en habitation, en bas à droite : préfabriqués de la colonie de vacances | Document numérisé, exemplaire de la carte postale appartenant à SystExt

► Notes

(i) La mine de Fourcaye a été exploitée durant 4 ans, avant épuisement du gisement en 1907 [2]. Sur la concession d'Orle, les seuls travaux d'exploitation ont été effectués dans la mine de Bularic entre 1903 à 1907 [1].
(ii) Les travaux réalisés entre 1901 et 1904 entre Fourcaye et Lascoux (comprenant : l'ouverture des galeries d'exploitation, l'aménagement des voies ferrées et des tunnels, la construction du téléphérique et de la laverie de Lascoux) ont coûté environ 3 millions de francs de l'époque ([5], p.86), soit environ 12 millions d'euros actuels selon le convertisseur monétaire disponible sur le site internet de l'INSEE : https://www.insee.fr/fr/information/2417794, consulté le 09/03/2022. [6].
(iii) En gîtologie (spécialité de la géologie s'intéressant aux gisements miniers), on appelle indice une zone où des reconnaissances laissent supposer la présence d'un gisement, sans toutefois présumer de sa qualité. Plusieurs indices ont été reconnus sur la concession d'Orle et ont fait l'objet de quelques travaux de recherches : les indices dits de "Grauillès", du "Rocher de Darnaca", de "Bois d’Uget" et "Ruisseau du Col de Pourtillou" ([1], p.72).
(iv) Selon les calculs réalisés par SystExt, d'après [1], 11,5 kilomètres de voies ferrées et 3,5 kilomètres de voies câblées ont été installés.
(v) La société des Mines de Montolieu s'est engagée en 1905 à fournir à la société Vieille Montagne 4000 tonnes de minerais par an, sans jamais réussir à honorer son engagement. Par exemple, seulement 352 tonnes ont été livrées en 1907 [1] [2]. A titre de comparaison, le site d'exploitation du Bentaillou, sur la concession proche de Sentein, produisait 6376 tonnes de minerai brut en 1902 [1].
(vi) Au total, ce sont 21 ouvrages débouchant au jour (ODJ) qui ont été mis en sécurité en zone montagneuse, afin d'empêcher l'accès à de courtes galeries de recherche ou à des travaux miniers souterrains peu étendus [1].
(vii) La mine de Fourcaye ainsi que le bocard d'Orle, non situés dans le périmètre de la concession d'Orle, n'ont pas été concernés par les travaux réalisés dans le cadre de la renonciation du titre minier [1].
(viii) Concernant les travailleurs des mines, le livre Era Mineria dera Val d'Aran précise : "Le travail dans les mines était dur et périlleux. Il se produisait souvent des effondrements qui occasionnaient des blessures graves à ceux qui les subissaient ou la mort" ([2], p.24).
(ix) DRAC : Direction régionale des affaires culturelles.
(x) La laverie aurait traité jusqu'en 1907 les minerais de Fourcaye et de Bularic, puis aurait été utilisée jusqu'en 1914 pour traiter le minerai de cuivre de la mine d'Irazein [1].
(xi) Les minéraux d'intérêt dans ces exploitations étaient la sphalérite (sulfure de zinc), ainsi que la galène (sulfure de plomb).
(xii) L’inventaire des déchets miniers issus des industries extractives a été réalisé en application de l’article 20 de la directive européenne 2006/21/CE. Le secteur incluant les titres miniers du bassin versant du Lez a été défini par GEODERIS et regroupe les concessions du Bulard, d’Irazein, de Melles, d’Orle et de Sentein ([1], p.3). Il a obtenu une classe maximum (classe E), ce qui signifie que le secteur est "susceptible de présenter un risque significatif pour l’environnement et la santé humaine, et qu’il nécessite une étude environnementale détaillée urgente, si elle n’a pas déjà été réalisée" ([7], p.10).

► Bibliographie citée

[1] GEODERIS. (2015). Étude sanitaire et environnementale sur le secteur minier de Sentein, bassin versant du Lez (09). Rapport S2015/046DE-15MPY24010. Lien.
[2] Santamaria, J., Ros, E. & Gavaldà, J. (2008). Era Mineria dera Val d'Aran. Conselh Generau d'Aran.
[3] Laur, F. (1908). Une catastrophe financière imminente. L’Écho des mines et de la métallurgie. Gallica-BNF. Lien.
[4] Office de tourisme Couserans Ariège Pyrénées & Communauté de communes du Castillonais. (2021). Sentier découverte Decauville Vallée d’Orle. Fiche itinéraire. Lien.
[5] Randonnées ferroviaires (s.d.). Fiche itinéraire - Sentier de decauville de la vallée d’Orle. Site internet : www.inventaires-ferroviaires.fr/hd09/09059.a.pdf, consulté le 21/02/2022. Lien.
[6] Bosquet, L. (2013). Entre cimes et abîmes. L’empreinte des mineurs pyrénéens. Le Pas d’oiseau éditions.
[7] GEODERIS. (2013). Inventaire des dépôts issus des exploitations minières selon l’article 20 de la Directive 2006/21/CE. Monographie sur la région Midi-Pyrénées. Volet "métallique ". Rapport N2012/038DE-12NAT2121. Lien.*
[8] Préfecture de l’Ariège. (2017). Travaux engagés par l’État suite aux recommandations de l’étude environnementale et sanitaire du secteur minier de Sentein. Plaquette de présentation. Lien.
[9] Mauroux, B. & Nédellec, J-L., avec la collaboration de Bonjour, A., Brigati, B., Gannard, J-C., Genaudeau, M., Huron, J., Le Loher, F., Pierre, A. & Hoang, V. (2017). Compte rendu d’activité DPSM - Année 2016 - Région Occitanie. Rapport BRGM RP-66933-FR. Lien.

* Ce rapport, portant sur les résultats de l'inventaire des dépôts de déchets miniers sur la région (auquel ont été jointes les fiches détaillées par dépôt inventorié), a été transmis le 02/06/2020 à SystExt et ses partenaires par GEODERIS. Ceci fait suite à un courrier initial de E. Feyeux à GEODERIS en date du 28/01/2020, à une saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 04/03/2020 ainsi qu'à un courrier de la CADA à GEODERIS en date du 19/05/2020.