À Ternand, entre responsabilisation et abandon des victimes de l'après-mine

30 mai 2023
SystExt
Maison installée sur dépôt minier, carreau de la mine de Ternand
Maison installée sur dépôt minier, carreau de la mine de Ternand | E. Feyeux pour SystExt · Août 2020 · cc by-nc-sa 3.0
Depuis juin 2020, SystExt mène un projet d’étude qui souhaite mettre en exergue les réalités de l’après-mine en France métropolitaine. Dans ce cadre, une vingtaine d’anciens sites miniers dans une dizaine de départements ont été visités, afin de rencontrer des populations affectées ainsi que les autres acteurs concernés par les pollutions minières. SystExt revient sur ces territoires miniers au travers d'une seconde série de 6 reportages de terrain, étayés de recherches bibliographiques. Premier volet de cette nouvelle série : Ternand dans le Rhône, ancienne mine de plomb-argent.

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1. Une exploitation de très courte durée

L’exploration du gisement de plomb-argent de Ternand a débuté en 1870 [1]. Elle a donné lieu à une concession octroyée en 1912 et à une exploitation durant seulement 3 ans, de 1913 à 1916 [1] [2] [3]. Une laverie servant à concentrer le minerai (i) a été installée sur le carreau de la mine, au bord de la rivière Azergues [1]. Les photos et plans d’époque indiquent que les déchets miniers (stériles et résidus miniers) étaient déposés au niveau même du carreau, amenant "[...] progressivement à une transposition du lit de la rivière jusqu’à sa position actuelle" ([1], p. 16), soit une cinquantaine de mètres plus loin [1]. Le faible rendement de la laverie (ii) aurait été à l'origine de l'arrêt de l'exploitation [3] puis de la faillite de l'exploitant en 1922 [2]. En 1929, la concession fut finalement renoncée [2]. Les bâtiments de la mine ont été vendus [4] et ont trouvé de nouveaux usages (résidentiels et professionnels).


Carreau de la mine de plomb-argent de Ternand, entre les années 1913 et 1916. Au premier plan, la rivière Azergues longeant les bâtiments miniers | Édit. Delorme, Phot.-L'Arbresle · Document numérisé, exemplaire de la carte postale appartenant à E. Feyeux

2. Long délai entre le lancement de l’étude sanitaire et la transmission des résultats

La zone correspondant au carreau et à son environnement proche a fait l’objet d’une étude sanitaire, lancée en juillet 2015 par les services de l’État [1] [2]. Le périmètre de l’étude comprenait cinq résidences (A à E) et un bâtiment industriel (iii), installés sur ou à proximité du dépôt minier [1]. Les investigations de terrain ont été réalisées entre septembre et octobre 2015 [1]. Les résultats ont été communiqués aux propriétaires concernés et présentés par les services de l’État (Préfecture, Agence régionale de santé (ARS) et Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL)) entre mars et avril 2018 [5]. Comme dans de nombreux cas étudiés par SystExt, presque trois ans se sont écoulés entre le lancement de l’étude et la transmission des résultats.


Localisation du dépôt de déchets miniers et des enjeux de la zone d'étude ; tiré de [1] (p. 25) (en haut) et (p. 33) (en bas)

3. Des risques sanitaires importants

L'étude sanitaire met en évidence que les sols de surface peuvent présenter des concentrations très élevées en certains métaux et métalloïdes (en particulier en plomb et en arsenic), pouvant aller jusqu’à 113 000 mg/kg pour le plomb (iv) [1]. Il en résulte des risques sanitaires importants pour les riverains, qui ont été caractérisés par une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) [1]. 5 des 7 scénarios d’exposition ainsi étudiés pour les enfants sont incompatibles, certains dès 1 jour d’exposition [1]. Les 4 scénarios d'exposition étudiés pour les adultes sont compatibles [1]. Selon SystExt, cette méthodologie ne permet pas d'évaluer les risques sanitaires de manière exhaustive (v), ce qui interroge la pertinence de sa mise en oeuvre dans un contexte de maison installée sur un dépôt minier.


Horizon de surface des sols du jardin de la résidence A, constitués de matériaux résiduaires | B. Bergnes pour SystExt · Juin 2021 · cc by-nc-sa 3.0

4. Recommandations de l’expert après-mine non suivies d’effets

L’étude sanitaire conclut en la "[...] nécessité de supprimer l’exposition à la plate-forme que constitue le dépôt minier principal." ([1], p. 90) Toutefois, à la suite de cette étude, aucune mesure permettant de supprimer l’exposition aux déchets miniers n’a été proposée aux propriétaires. Les actions entreprises par les autorités se sont limitées à la communication de conseils sanitaires établis par l'ARS, qui visent seulement à limiter l’exposition [6]. D’après M. Feyeux, propriétaire de la résidence A :

Lors de la réunion de présentation des résultats, il y a eu une réelle minimisation des risques et une déresponsabilisation des services de l’État. Selon ces derniers, le nécessaire a été fait en informant les victimes des risques. Il revient alors à celles-ci de prendre les dispositions nécessaires.


Stériles miniers comportant une fraction pulvérulente en bordure de la résidence A | B. Bergnes pour SystExt · Juin 2021 · cc by-nc-sa 3.0

5. Riverains contraints de changer leur mode de vie

Les conseils sanitaires de l’ARS ne sont pas anodins pour les personnes concernées. Ils impliquent en effet des modifications substantielles de l’usage de leurs lieux de vie, voire de leurs projets de vie (vi) [6]. Les activités telles que la culture d’un jardin potager ou les jeux en extérieur d'un enfant - pour lesquelles l'étude sanitaire a conclu à des risques - sont devenues une source de forte anxiété. De plus, faire des résidences A et B son logement n'est plus envisageable pour une famille avec des enfants. Alors qu'elles sont totalement étrangères à la mise en place de ces pollutions, aucun mécanisme de dédommagement, de réparation ou de compensation n'est proposé aux victimes.


Conseils sanitaires de l’ARS fournis aux propriétaires concernés par l’étude sanitaire ; tiré de ([6], p. 7).

6. Évolutions législatives susceptibles de rendre les victimes responsables des pollutions des sols

Non seulement les pollutions minières sont à l'origine de risques sanitaires et environnementaux, mais elles posent aussi des problématiques liées à l’urbanisme et la gestion du foncier. Les enjeux d’information et de mémoire des pollutions sont désormais pris en compte par les "Secteurs d’information sur les sols" (SIS). L'inscription d'une parcelle dans les SIS a des implications importantes (vii). Théoriquement, la gestion des parcelles concernées revient au responsable de la pollution (viii). Or, des carences de nature juridique entourent la responsabilité des dommages des anciennes activités minières, notamment la pollution des sols. SystExt craint donc que la responsabilité de la pollution puisse, dans le cas de certains anciens sites miniers, incomber aux propriétaires (ix).


Bâtiment professionnel sur une parcelle inscrite dans les SIS | B. Bergnes pour SystExt · Juin 2021 · cc by-nc-sa 3.0

7. Poursuites en justice longues et décourageantes

Afin d’obtenir réparation et de recouvrer des conditions de vie saine, certaines victimes engagent des démarches en justice. M. Feyeux a par exemple déposé un premier recours en 2018, demandant le remboursement de la valeur vénale du bien et l’indemnisation des préjudices subis (anxiété et jouissance du bien) [8]. La demande de remboursement a été déboutée par le jugement rendu en 2020 (x) [8]. L’État a toutefois été condamné pour les préjudices subis (xi). D’après le retour d’expérience de SystExt et de M. Feyeux, il s’agit de la première fois que l’État est condamné relativement à une pollution des sols d’origine minière. Un deuxième recours a été déposé en 2022, demandant la réalisation de travaux de réhabilitation de la parcelle. De telles démarches sont particulièrement coûteuses et éprouvantes pour les victimes.


Plateforme composée de matériaux résiduaires et résidence A, propriété de M. Feyeux | B. Bergnes pour SystExt · Juin 2021 · cc by-nc-sa 3.0

8. Victimes condamnées à rester exposées

À Ternand et sur de nombreux autres anciens sites miniers, les victimes de pollutions minières se retrouvent donc seules à gérer les risques auxquelles elles sont exposées. Sur le plan médical, elles prennent le plus souvent en charge les coûts de dépistage du plomb et de l'arsenic, qui ne sont pas remboursés pour les adultes (xii). En cas d'imprégnation à ces substances, il n'existe pas de traitement médical pérenne. La seule solution est donc l'arrêt de l'exposition (xiii) et non une modification drastique de leur quotidien, tel que cela leur est proposé. Les victimes continuent ainsi à être exposées et ne recouvrent pas des conditions de vie saine.


Jardin d’une des parcelles de la zone d’étude, dont les sols sont constitués de matériaux résiduaires | B. Bergnes pour SystExt · Juin 2021 · cc by-nc-sa 3.0

► Notes

(i) Le minerai présentait une teneur moyenne de 12 % à 15 % de galène, et de 200 g/t à 600 g/t d’argent [1].
(ii) Le minerai était traité uniquement par gravimétrie [1]. Cette méthode était cependant peu efficace, compte tenu de la finesse du minerai [3].
(iii) D’après [1] et [4] : A = anciens bureaux de la mine, transformés en résidence principale ; B = ancienne laverie et local machine à vapeur, transformés en local artisanal, avec projet de changement d’usage en résidence principale avant la réalisation de l’étude sanitaire ; C = ancienne maison du directeur de la mine, actuelle résidence secondaire ; D et E : résidences bâties plus tardivement (parcelles localisées hors de l’emprise du dépôt de déchets miniers) ; Bâtiment industriel : ancienne chaufferie et forge.
(iv) Sur les 14 prélèvements de sols retenus par GEODERIS pour l’étude des scénarios d’exposition, 12 excèdent une concentration de 300 mg/kg, qui correspond au seuil à partir duquel le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommande un dépistage, et plus de 8 excèdent une concentration de 10 000 mg/kg, soit plus de 30 fois cette valeur guide [1].
(v) Dans le cadre de l'étude sanitaire, la voie d'exposition par inhalation de poussières n'a par exemple pas été étudiée car les protocoles de prélèvement dédiés n'ont pas été mis en œuvre [1]. Toutefois, GEODERIS reconnaît que des envols de poussières importants se produisent et recommande de supprimer l'exposition aux poussières contenues dans les matériaux résiduaires [1].
(vi) Les conseils sanitaires de l'ARS préconisent notamment de : ne pas laisser les enfants jouer dans la terre ; laver régulièrement les jouets utilisés en extérieur ; se couper les ongles court ; préférer la serpillère à l’aspirateur ; limiter l’entrée de poussières extérieures par les chaussures ou les animaux [6].
(vii) En résumé, les SIS doivent permettre de s'assurer que les pollutions demeurent connues en cas de changement de propriétaire. Ils imposent de vérifier la compatibilité des projets d'usages nouveaux envisagés, et, le cas échéant de définir des travaux pour atteindre cette compatibilité.
(viii) L’article 173 de la loi ALUR a créé l’article L556-3 du code de l’environnement, stipulant que : "En cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l'environnement au regard de l'usage pris en compte, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable." ([7], p. 1)
(ix) D’après l’article L556-3 du code de l’environnement précédemment cité, pour les sols dont la pollution a pour origine une activité minière, le responsable est le dernier exploitant de l’installation à l’origine de la pollution des sols. L’article précise que si l’Etat ne s’est pas substitué à ce dernier ou en l’absence d’un tel responsable, le responsable devient "[...] le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués […], s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution." ([7], p. 1)
(x) Le jugement concluait que le bien n’avait pas pu acquérir de valeur, du fait de l’antériorité de la pollution [8].
(xi) Le tribunal a estimé que ceux-ci s’élevaient à 8000 euros [8].
(xii) Le dépistage du plomb dans le sang ne sont pris en charge à 100 % que pour les enfants et les femmes enceintes (site de l'Assurance Maladie et [9]). Les individus cibles du dépistage dans les zones où la concentration d’arsenic inorganique bioaccessible dans le sol est supérieure à 25 mg/kg sont : les enfants de moins de 6 ans ; les consommateurs de légumes produits localement ; les personnes utilisant une eau dont la concentration est supérieure à 10 μg/L ; les individus qui ont des comportements à risque élevé de contamination [10]. Les témoignages recueillis par SystExt en contexte d’après-mine attestent du non-remboursement de ces dépistages, sauf en cas de campagne mise en place par l’ARS.
(xiii) En effet : "Le traitement de l’intoxication par le plomb repose toujours sur la détection et l’éviction de toute source d’intoxication potentielle jusqu’à l’âge adulte, associées ou non à l’utilisation de médicaments chélateurs." ([9], p. 24). Les médicaments chélateurs permettent d’entraîner une baisse de la concentration de plomb dans le corps, mais "Son effet est limité et transitoire si la source d’intoxication n’a pas été identifiée et supprimée." ([9], p. 24). De même, "Le traitement de l’intoxication chronique par l’arsenic repose sur la réduction de l’exposition et le traitement symptomatique des complications. La chélation n’a pas d’intérêt démontré." ([10], p. 100). Voir également les interventions de l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) et de l'Association pour la Dépollution des Anciennes Mines de la Vieille Montagne (ADAMVM) dans [11].

► Bibliographie citée

[1] GEODERIS. (2018). Étude sanitaire ciblée sur habitation, secteur minier des Ardillats (69). Rapport sur la concession de Ternand. Rapport S2018/046DE-18RHA24030. Lien.
[2] Préfecture du Rhône. (2018). Restitution des résultats de l’étude sanitaire ciblée sur habitation. Secteur minier des Ardillats, commune de Ternand. Lien.*
[3] Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). (1981). Fiche de gîte et d’indice. Division Massif central. Carte Amplepuis. Numéro M3705. Lien.*
[4] Matray, A. (1923). Acte de vente aux enchères des bâtiments et du matériel de la mine de Ternand. Lien.*
[5] Mairie de Ternand. (2018). Courrier d’invitation à la réunion d’information et de présentation des résultats de l’étude sanitaire.
[6] Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Apes. (2018). Courrier de transmission des résultats de l’étude sanitaire ciblée sur habitation et des conseils sanitaires. Lien.*
[7] République française. Article L556-3 du Code de l’environnement. Version en vigueur depuis le 01 janvier 2019. Consulté le 16 mai 2023. Lien.
[8] Tribunal administratif de Lyon. (2020). Courrier d’expédition du jugement n°1809315 du 20/02/2020 relatif à la demande indemnitaire en réparation des préjudices subis et du fait de la dangerosité des sols de la propriété sise Le Pré Gravière à Ternand (69620). Lien.*
[9] Haut Conseil de la santé publique (HCSP). (2017). Mise à jour du guide pratique de dépistage et de prise en charge des expositions au plomb chez l’enfant mineur et la femme enceinte. Rapport final. Lien.
[10] Haute Autorité de santé (HAS), & Société de toxicologie clinique (STC). (2020). Dépistage, prise en charge et suivi des personnes potentiellement surexposées à l’arsenic inorganique du fait de leur lieu de résidence. Recommandation de bonne pratique. Argumentaire scientifique. Lien.
[11] SystExt. (2023). Actes du Forum citoyen Après-mine. Rencontres sur les pollutions et les dommages miniers en France métropolitaine. Lien.

► Bibliographie non citée

• Baills, E. (2019). Pollution au plomb : ils attendent des solutions. Le Progrès, édition Villefranche et Beaujolais 69A.
• Charlet, A. (2021). Son terrain pollué par l’ancienne mine de plomb, il veut être exproprié. Le Progrès, édition Villefranche et Beaujolais 69A.
• Direction générale de la prévention des risques (DGPR). (2018). Guide méthodologique à l’attention des collectivités relatif aux secteurs d’information sur les sols (SIS) et à la carte des anciens sites industriels et activités de service (CASIAS). 2ème version. Lien.
• GEODERIS. (2013). Inventaire des dépôts issus des exploitations minières selon l’article 20 de la Directive 2006/21/CE. Monographie sur la région Rhône-Alpes. Volet "métallique". Rapport N2012/039DE-12NAT2121. Lien.**
• Sarda, C. (2017). Avis concernant les démarches juridiques envisageables par M. Feyeux.

* Documents mis à disposition par M. Feyeux.
** Suite à une demande auprès de la DREAL Rhône-Alpes, SystExt et ses partenaires ont eu accès aux résultats de l'inventaire des dépôts de déchets miniers sur la région (GEODERIS, 2013) et aux fiches détaillées par dépôt inventorié, en date du 18/02/2019.